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Ma femme est un violon (Il merlo maschio) [1971 - Italie, 112 min. C] R. Pasquale Festa Campanile. Sc. P. Festa Campanile d'après le récit de Luciano Bianciardi, Il complesso di Loth. Ph. Silvano Ippoliti. Déc. et cost. Ezio Altieri. Mus. Riz Ortolani. Mont. Sergio Montanari, Mario Morra. Prod. Silvio Clementelli|Ciesi Cinematografica. I. Lando Buzzanca (Niccolo Vivaldi), Laura Antonelli (Costanza), Lino Toffolo (Cavalmoretti), Gianrico Tedeschi (le chef d'orchestre), Ferruccio De Ceresa (le psychanaliste), Luciano Bianciardi (Mazzacurati), Elsa Vazzoler (la mère de Costanza), Gino Cavalieri (père de Costanza).
~ A Vérone - ce qui nous offre l'occasion d'admirer les fameuses Arènes (l'amphithéâtre romain) -, le violoncelliste Niccolò Vivaldi (Lando Buzzanca) se sent limité dans sa carrière, méprisé par son chef d’orchestre voire moqué par ses propres collègues. Un jour, Vivaldi commence à photographier son épouse Costanza (Laura Antonelli) dans des poses de plus en plus audacieuses, pour ensuite montrer les images d’abord à son meilleur ami, Cavalmoretti (Lino Toffolo), puis aux collègues, dans un délire croissant d’exhibitionnisme auquel Costanza participe malgré elle...
Excellent journaliste - il fut honoré du prix La Caravella puis du Marrotto en 1948 puis en 1951 -, Pasquale Festa Campanile (1927-1986) entra dans l'univers du cinéma italien à la fin des années 1950. Aux côtés de Massimo Franciosa - ils feront une paire comme d'usage chez les scénaristes de la péninsule -, il écrit l'argument de Gli innamorati (Les Amoureux, 1956), un film précurseur de Mauro Bolognini. On retrouve nos deux compères participant à l'élaboration du raffiné La viaccia (1961) du même réalisateur. Mais, ils vont aussi travailler pour Luchino Visconti (Rocco i suoi fratelli, Le Guépard). Toujours associé à Franciosa, Festa Campanile débute comme réalisateur en 1963 avec Un tentativo sentimentale (Amour sans lendemain), projeté à la Mostra de Venise. C'est plutôt leur film suivant qui retient l'attention : situé dans la Rome du dix-huitième siècle, Le voci bianche (renommé en France, Le Sexe des anges) offre un sujet original, un foisonnement inventif et une liberté de ton qui suggère Boccace et plus encore Suétone. Le tout magnifié par une image filmée en Technicolor par Ennio Guarnieri. Le siècle y est dépeint avec une grande intelligence : à travers le phénomène des castrats, les auteurs du film ont cherché à ce que leur histoire soit une « une allégorie de ce qui se passe encore aujourd'hui (c'est-à-dire à l'époque contemporaine). (...) il existe encore des tortures volontaires auxquelles nous nous plions pour obtenir le succès dans la vie, pour faire bonne figure, pour être conformistes, pour notre carrière, en vertu de l'émulation ou tout simplement de l'envie. D'une certaine manière, chacun d'entre nous doit faire le soprano et dissimuler sa conscience et sa dignité. » (cité par J. Lourcelles, op. cité) Le film évoque, au passage, les mœurs de l'époque. On remarquera d'emblée que Festa Campanile aborde quasi régulièrement le thème de l'amour et du sexe en particulier qu'il cherche à ne jamais traiter de manière superficielle et ostentatoire. Cependant, entre les intentions et la réalisation, il nous faut admettre que le décalage est hélas souvent au rendez-vous. Il est vrai que sur la quarantaine de films figurant à son actif, peu nous sont connus en France. Selon Lourcelles, une dizaine de ses films qu'il réalise désormais seul à partir de 1964, mériteraient qu'on s'y attache : il cite notamment Une vierge pour le prince (1966, avec Vittorio Gassman, Virna Lisi et Philippe Leroy) et Il ladrone (1981), adaptation d'un récit qu'il a lui-même écrit et qui fut récompensé d'un Prix Campiello en 1984. Ce film reprend, à sa façon, la légende de Caleb, le compagnon de Jésus ou le Bon larron de l'évangile selon Luc. S'agissant d'Il merlo maschio (traduction littérale : le merle mâle), il croit déceler là un « essai de psychopathologie sexuelle malicieux et réjouissant ». À notre avis, une rétrospective consacrée à Pasquale Festa Campanile serait assez amusante : des films comme La costanza della ragione (1964), inspiré par un roman de Vasco Pratolini ou La matriarca (L'amour à cheval, 1968, avec Catherine Spaak et Jean-Louis Trintignant) ou La ragazza di Trieste (1982, avec Ornella Muti et Ben Gazzara) recèlent-ils quelques surprises ? Quoi qu'il en soit, tout au long de sa carrière, Festa Campanile a été identifié à un genre ; ses titres sont assez significatifs : La Ceinture de chasteté (1968), Dove vai tutta nuda ? (Où vas-tu toute nue ?) (1969), Tu peux ou tu peux pas ? (1970), Quand les femmes avaient une queue, Quand les femmes perdirent leur queue (1970|1972), etc. etc. Le filon commercial à caractère érotique prospérait en ce temps-là.
« Je crois, déclarait le réalisateur, que Ma femme est un violon est un des premiers films qui aient cherché sincèrement à démystifier les problèmes du sexe. Il reste vrai, toutefois, qu'un homme brisé par un complexe de médiocrité peut effectivement prendre sa revanche en se réfugiant dans le sexe ». [Interview pour Écran 73, décembre 1973, Ari Ben Canaan, Rome] Issu d'un récit très bref de Luciano Bianciardi (Le complexe de Loth), Pasquale Festa Campanile approfondit, quant à lui, le contexte sociologique et les multiples implications psychanalytiques de l'histoire. « [...] Tout au long de son film, Festa Campanile va décomposer élément par élément le complexe de son héros, mais en faisant constamment rire d'une particularité qui, en termes médicaux, pourrait passer comme monstrueuse ou au moins inquiétante [...]. » (Guy Braucourt, Ecran 77 cité] Et ceci, dans la meilleure tradition élucidante de la commedia all'italiana. En ce sens qu'il ne faut jamais accorder un surcroît de vraisemblance à pareille histoire. Même si l'on aurait parfaitement raison d'interroger le contexte social. À vrai dire, la réflexion que sous-tend le film est celle de savoir si un homme doit être à ce point méprisé parce qu'il ne possède aucun talent particulier : c'est le cas du violoncelliste Vivaldi - le nom patronymique invite forcément à l'ironie. Il a été présenté à plus d'une vingtaine de personnes mais tous l'ont oublié, y compris son nom. En dix ans de présence dans l'orchestre, son chef ne l'avait jamais remarqué. Et quand il entre trop tard dans l'œuvre interprétée - de la musique contemporaine -, le chef d'orchestre, en l'espace de quelques minutes, a déjà confondu son nom et l'interpelle par un Frescobaldi en lieu et place d'un Vivaldi. Enfin, lorsqu'il égare son instrument (son seul vrai compagnon), il éprouve le même sentiment que l'homme médiocre peut ressentir en étant largué par son alter-ego. En même temps, cet instrument, il ne l'a pas choisi : il s'en est contenté, faute de ne pas avoir réussi à s'imposer comme violoniste. Dès lors, le violon dont il n'a pu jouer sera désormais son épouse, interprétée par la sculpturale Laura Antonelli, 29 ans au moment du film (l'actrice s'affirmera comme symbole sexuel à partir du film Malizia [1973] dû à Salvatore Samperi). Cette femme que ses collègues trouvent magnifique. Niccolò Vivaldi, comme beaucoup d'hommes qualunque, en conçoit une légitime fierté. Si sa femme est un « canon » , c'est qu'il n'est pas totalement qualunque. Sinon, comment aurait-t-il pu séduire une si belle femme ? Désormais, sa femme le sauvera de l'insignifiance, du terrible néant dans lequel il se trouve. Et en la valorisant, il se valorisera lui-même. Avouons qu'il y a un peu de chaque homme dans ce film. Remarquons cependant que ce Vivaldi c'est Lando Buzzanca, et il est plutôt beau garçon. Le réalisateur explique : « La crise de personnalité de Niccolò, sa désillusion influent évidemment sur son psychisme. [...] Au fur et à mesure que la folie s'empare de son esprit, ses rêves deviennent de plus en plus frustrants. L'histoire est, au fond, essentiellement tragique. C'est un personnage douloureux, triste, détruit par la société. Il perd pied et cherche désespérément à survivre en s'accrochant à sa femme. » (Entretien cité] En outre, la parabole du merle que Niccolò imite merveilleusement - l merlo maschio - est tout aussi géniale : notre « héros » exprime inconsciemment son désir de s'extraire d'un monde cruel en se transformant en oiseau, donc en devenant totalement libre, libéré d'une société implacable et injuste. Ainsi, Il merlo maschio incarne, à sa façon, la tradition la plus féconde de la comédie à l'italienne. Pasquale Festa Campanile éclaire tout autant le problème de la sexualité en Italie et au-delà. « Celui-ci, affirme-t-il, n'est pas tant l'homme lui-même que le rapport entre homme et femme. Je crois avoir constaté ce problème à travers les yeux accusateurs de la femme. Dans Ma femme est un violon, le personnage principal croit pouvoir résoudre ses difficultés dans une relation sexuelle très spéciale, où la virilité occupe une place décisive. La véritable virilité est la virilité morale, la virilité de comportement. C'est cela que la femme attend de l'homme, si celui-ci continue à croire que la solution c'est la virilité sexuelle. » [Entretien cité] Il nous faut signaler ici le très grand talent de Lando Buzzanca - digne des meilleurs comédiens de la commedia all'italiana : « dans certaines séquences, comme celle de la tentative de suicide et des méditations qui en découlent dans le petit restaurant, il se révèle un acteur sensible, au jeu contenu », note Enrico Giacovelli. [op. cité] Quoi qu'il en soit, sa réussite dans ce film ne cessera plus de le poursuivre : il continuera, au cours des années 1970 et plus encore, d'incarner un protagoniste habité par l'« obsession sexuelle ».
Magdalene Sisters (The) [2002 - Irlande, Grande-Bretagne, 114 min. C] R. Sc. Peter Mullan d'après un documentaire de Steve Humphries. Ph. Nigel Willoughby. Mus. Craig Armstrong. Pr. Scottish Screen, Irish Film Board, Momentum Pictures, PFP Films. I. Anne-Marie Duff (Margaret), Nora-Jane Noone (Bernadette), Dorothy Duffy (Rose/Patricia), Eileen Walsh (Crispina/Harriet), Geraldine McEwan (Sœur Bridget), Mary Murray (Una). Lion d'Or à la Mostra de Venise 2002.
~ Premier rôle dans My Name is Joe (1998) de Ken Loach, Peter Mullan avait réalisé un an auparavant sa première fiction avec une comédie noire Orphans. Il obtenait alors le prix de la Critique à la Mostra de Venise. Quatre ans plus tard, il décrochait avec The Magdalene Sisters le Lion d’Or.
Son deuxième LM s’inspire de l’affaire des couvents de la Madeleine (Magdalene Home), une institution, à l'origine protestante, mais surtout catholique, destinée en principe à la rééducation de « femmes perdues » (fallen women), de « femmes de mœurs légères ». On les appelait aussi « blanchisseries ». En regardant le film, on comprendra. L’action se déroule ici en Irlande. Bon nombre de ces « blanchisseries » sont exploitées comme des maisons de travail pénitentiaires, leurs régimes stricts étant souvent plus sévères que ceux des prisons. De 1922 à 1996, environ 10 000 femmes rejetées par la société y furent enfermées. Celles-ci, souvent adolescentes, étaient placées dans ces institutions, parfois pour un motif futile, où elles étaient contraintes de travailler sous la direction de nonnes.
Les estimations font état d'environ 30 000 femmes y ayant séjourné, le plus souvent sous la contrainte. Le dernier couvent de la Madeleine en Irlande fut fermé le 25 septembre 1996.
L’intrigue du film suit le destin de trois jeunes femmes. L’une Margaret (Anne-Marie Duff) est violée par son cousin ; une autre, la jolie Bernadette (Nora-Jane Noone) attise les regards masculins ; tandis que Rose (Dorothy Duffy) donne vie à un enfant en dehors du mariage. Autant d’occasions pour leur famille de les envoyer au couvent des soeurs de Marie-Madeleine, dans le comté de Dublin. Ce lieu est un havre de douleur reconverti en laverie où les pensionnaires subissent une discipline de fer menée par l’intransigeante Sœur Bridget (Geraldine McEwan), grande admiratrice de films (et de westerns !) - lors d’une séance cinématographique, elle pleure à chaudes larmes en voyant Soeur Mary Benedict incarnée par Ingrid Bergman dans Les Cloches de Sainte-Marie (1945) de Leo McCarey. Ce qui ne l’empêche nullement d’être monstrueuse à l’égard des jeunes “détenues”.
On explore avec effroi les agissements de l’institution catholique où expier les péchés devenait synonyme d’humiliations corporelles et psychologiques. Ce film d’une véracité troublante choqua le quotidien pontifical L’Osservatore romano qui l’estima par trop manichéen. Or il n’y avait là nulle charge contre le catholicisme mais plutôt contre une vision dénaturée des principes chrétiens qui doivent être guidés par la compréhension et l’amour.
Manchester by the Sea [2016 - États-Unis, 135 min. C] R.et Sc. Kenneth Lonergan. Ph. Jody Lee Lipes. Mus. Lesley Barker. Musiques additionnelles : T. Albinoni, G.-F. Haendel, J.-S. Bach, B. Dylan, R. Charles, E. Fitzgerald etc. Déc. Florencia Martin. Cost. Melissa Toth. Mont. Jennifer Lame. Prod. Lauren Beck, Matt Damon, Chris Moore, Kimberley Steward, Kevin J. Walsh / The Affleck/Middleton Project, B Story, Big Indie Pictures, CMP, K Period Media, Pearl Street Films. Int. Casey Affleck (Lee Chandler), Michelle Williams (Randi), Lucas Hedges (Patrick Chandler), Kyle Chandler (Joe Chandler), C.-J. Wilson (George), Tate Donovan (l'entraîneur de hockey), Matthew Broderick (Rodney).
~ Le film se déroule à Manchester-by-the-Sea, une petite ville côtière de l'est des États-Unis, proche de Boston. Il raconte l'histoire d'un homme, Lee Chandler (Casey Affleck), qui doit s'occuper de son jeune neveu (Lucas Hedges) qui vient de perdre brutalement son père. Lee est lui-même traumatisé par un drame familial survenu dans cette ville des années auparavant. Il éprouve donc beaucoup de difficultés à gérer pareille situation...
Né le 16 octobre 1962, à New York, Kenneth Lonergan, auteur de trois longs métrages à ce jour, est un cinéaste rare et singulier. À titre de rappel, il débute au cinéma en signant le scénario de Mafia Blues (Analyze This) de Harold Ramis (1999) avec Robert De Niro. Quelques mois plus tard, il réalise sa première fiction avec You can count on me, avec Laura Linney et Mark Ruffalo, et dont le producteur exécutif n'est autre que Martin Scorsese. Comme pour Manchester by the Sea ou pour Margaret (2011), il y est déjà question d'accident mortel et des conséquences qu'il entraîne. Le réalisateur ne propose rien d'autre qu'une observation attentive, faite de bienveillance et d'empathie, envers des protagonistes traumatisés par une expérience dans laquelle intervient, tout autant, un très fort sentiment de culpabilité. À cette souffrance, il n'offre nulle alternative accommodante. Il faut concéder au temps et aux événements imprévisibles leur part de réponse. Il n'y a point de résignation dans cette démarche : Lisa Cohen (Anna Paquin) de Margaret ou Lee Chandler (Casey Affleck) de Manchester devront, avec courage et détermination, affronter leur propre destinée. À laquelle, ô paradoxe, la mort - celle des proches, l'amant d'une mère dans Margaret (Jean Reno) ou le frère de Lee (Kyle Chandler) dans Manchester -, peut prêter à la vie un sens nouveau et insuffler une volonté inattendue. Nos vies se réduisent-elles à ce que nous en attendons ? Qu'attendent de nous ceux qui nous aiment ? Il est naturel cependant qu'il faille reprendre confiance en soi. « Je n'en ai pas la force », répète, à deux reprises, Lee s'adressant à son neveu Patrick (Lucas Hedges), désormais privé d'un père. L'adolescente Lisa, lycéenne à New York, comme Lee, gardien d'une résidence à Boston, sont écorchés vifs. Ils vivent pourtant cet état différemment : alors que Lisa explose en phrases nerveuses, coupantes, hurlantes et révoltées, Lee, introverti et renfrogné, noie dans l'alcool et les bagarres, sa furie à l'égard de tous et... de lui-même ! Margaret est un film urbain, submergé par le bourdonnement de la rue, de l'activité professionnelle et des rumeurs médiatiques. Manchester by the Sea, est, en revanche, retrait, silence et intériorité. Du coup, ce qui est périphérique disparaît, à savoir les cours scolaires et les débats entre lycéens, la religion et la politique, l'actualité et les divertissements culturels. Notre héros a beau travailler et loger à Quincy, dans la périphérie de Boston, de celle-ci nous n'en verrons qu'un bref passage introductif. N'allez pas croire que Manchester ne soit pas violence cependant ! Lorsqu'elle surgit - tapie dans les méandres d'un récit, édifié du point de vue du personnage et suivant sa propre nature ombrageuse et querelleuse -, elle vous prend à la gorge. Tout en inscrivant son récit dans une autre géographie, Lonergan rompt avec le procédé de narration purement chronologique. On constate, à merveille, combien l'option choisie se justifie. Le mutisme et la crispation dans lesquels Lee Chandler a figé son existence ne peuvent être perçus et compris que suivant un tel recours. Elle contraint, en outre, le spectateur à suivre de manière intense et soutenue ce qui se passe à l'écran. Et ce qui se déroule à l'intérieur de Lee importe plus que toute autre considération. Lui seul conserve, en fardeau, son lourd secret. Il est si terrible qu'il est impuissant à s'en délivrer. Au spectateur d'échafauder, à son sujet, quelque hypothèse et d'en découvrir soudainement l'atrocité. Cette réalité ne sera révélée qu'en fragments : parce que notre héros a besoin (le peut-il ?) de recoller les morceaux. Lonergan surprend : puisqu'il loge son œuvre dans l'âme de Lee Chandler, la transition, entre hier et aujourd'hui, opère, par la grâce d'un montage supérieurement maîtrisé et d'une ligne musicale signifiante, comme figure de style ou analepse plus encore que comme flashback. C'est toujours au présent que le héros vit la brutalité des faits passés. Ce ne sont plus des souvenirs qu'il déroule : à partir de là, sa vie s'est interrompue. C'est d'ailleurs au cours la séquence chez le notaire, au moment où Lee apprend que son frère, se sachant condamné, avait prévu de lui confier la garde de son fils, que nous découvrons la catastrophe : celle qui a conduit au choc psychique des époux et à leur séparation. Comment Lee pourrait-il devenir, en effet, un bon père pour Patrick, alors qu'il estime ne l'avoir pas été pour ses enfants naturels, brûlés, à cause de son imprudence, dans l'incendie de sa maison ? Comme Lisa dans Margaret, Lee ne veut et ne peut rien se pardonner - voir la scène de la déposition au commissariat où l'officier de police crie à Lee : « Vous ne voulez pas non plus qu'on vous crucifie ? » Reflet supplémentaire de cette situation, la séquence bouleversante de la rencontre entre Lee et son ex-épouse Randi (Michelle Williams) et que laisse augurer l'accolade mutuelle donnée au cours la cérémonie funèbre religieuse pour Joe. Au détour d'une des rues de Manchester-by-the-Sea, Lee se retrouve face à Randi qui vient d'avoir un enfant. Jean-Dominique Nuttens écrit ceci : « Lee voudrait disparaître, couper court tant la violence de cette rencontre est grande, tant la blessure qu'il a enfouie sous la neige (ndlr : le film a été tourné au début de l'hiver et s'est achevé à l'orée du printemps) se rouvre soudain, mais reste pour ne pas blesser Randi. Cette séquence où les paroles restent enfoncées dans la gorge, où les larmes affleurent sans pouvoir couler est déchirante et très représentative d'une direction d'acteurs exceptionnelle et d'une sensibilité à fleur de peau. » (In : Positif n° 671, janvier 2017). Manchester-by-the-Sea (Massachusetts), ainsi nommée pour la distinguer des nombreuses communes du même nom sises en Nouvelle-Angleterre, est une des occurrences poétiques du film. Ancien port de pêche, la petite ville devint station balnéaire au milieu du XIXe siècle. Ici, et, contrairement aux images répandues d'une Amérique citadine bigarrée, constituée de gratte-ciel et de vastes artères encombrées, les racines anglo-saxonnes des Etats-Unis paraissent plus évidentes : l'architecture victorienne de l'église et des summer cottages, le port de plaisance... Dans cet endroit tranquille et cossu, réservé aux élites bostoniennes, le modeste concierge Lee Chandler doit s'y fixer plus longtemps qu'il n'aurait pu le prévoir. Décédé au cœur de l'hiver, son frère ne peut y être enterré. Cette idée de terre gelée en Essex, cause de report des funérailles, peut suggérer des analogies. Le cinéaste affirme de son côté : « L'image de la neige qui s'en va apporte beaucoup au film, cependant le cycle des saisons m'intéressait moins d'un point de vue métaphorique que dramatique. Il fallait tout simplement que l'enterrement du frère soit retardé. Au cœur de l'intrigue, il y a cet état de fait : on ne peut pas procéder aux funérailles immédiatement. Voilà ce qui provoque les divergences entre les personnages [...]. » (Entretien avec A. Gombeaud, Paris, 13/10/2016). Deux autres aspects fondamentaux créditent Manchester by the Sea d'une dimension exceptionnelle. De prime abord, Kenneth Lonergan rend crédible ses personnages sans déséquilibrer l'ensemble. Chacun des protagonistes vit de sa propre vie et, à ce titre, les portraits ne sont jamais caricaturés ou traités comme secondaires. Cette science n'est pas infuse. Lonergan possède des qualités d'écriture et un don littéraire incontestable. L'idée qu'on pourrait, à partir de chacun des personnages, prolonger le film ou en constituer un autre n'est pas abstraite. Casey Affleck ou Lucas Hedges, les deux acteurs les plus merveilleusement dirigés, ne sont pourtant pas les seuls caractères les plus riches à approfondir. Un tel constat révèle, en filigrane, des virtualités romanesques insoupçonnées. Le réalisateur ne déclare-t-il pas ainsi : « J'irais même plus loin : une histoire ne peut pas prendre vie si chaque personnage n'est pas totalement dessiné. [...] Mais c'est ce que je voulais montrer dans Margaret : que derrière chaque fenêtre de la grande ville, il y a toute une histoire ! » En second lieu, la réussite du cinéaste tient aussi à la juste finalité qu'il attribue à la bande-son et qui était déjà constatable dans ses réalisations précédentes. N'est-ce pas, au demeurant, faire injure à Lonergan et, en conséquence à Lesley Barker, que de parler simplement de bande-son ? Nous sommes ici en présence d'un autre protagoniste : la partition musicale - les compositions originales et celles additionnelles, jazz et musique classique tout à la fois. De ce point de vue, Lonergan laisse la musique imprégner la séquence entière lorsqu'il estime qu'elle rend parfaitement compte de l'état d'esprit du personnage - la longue scène muette de reconstitution du drame, citée plus haut, entièrement enchaînée au rythme de l'Adagio d'Albinoni en est l'illustration la plus troublante et la plus achevée. Au-delà, ce qu'il faut louer en Manchester by the Sea c'est la leçon, admirablement récitée, qu'il nous enseigne : il n'existe nulle vie qui ne trouve la mort en chemin et, sans doute, faut-il en prendre son parti. L'amour peut alors devenir une merveilleuse voie de résilience - celui d'un oncle (Lee Chandler/Casey Affleck) pour un neveu pratiquement orphelin (Patrick/Lucas Hedges). À bord du Claudia Marie, le bateau de Joe, et sur les paroles d'I'm Beginning to See the Light d'Ellington, Lee paraît plus serein... En rade de Manchester-by-the-Sea, l'espoir n'est pas forcément perdu.
Merdier (Le) (Go Tell the Spartans) [1978 - États-Unis, 114 min. C] R. Ted Post. Sc. Wendell Mayes d'après une nouvelle de Daniel Ford (Incident at Muc Wa). Assistant réal. Jesse Corallo, Michael Kane. Ph. Harry Stradling Jr. Mus. Dick Halligan. Mont. Millie Moore. Déc. Ron Greenwood. Effets spéciaux. Bob Dawson. Pr. Allan F. Bodoh, Mitchell Cannhold. I. Burt Lancaster (Major Asa Barker), Craig Wasson (Caporal Coursey), Jonathan Goldsmith (Sergent Oleonowski), Marc Singer (Capitaine Alfred Olivetti), Joe Unger (Lieutenant Hamilton), Dennis Howard (Caporal Abraham Lincoln).
~ En 1964, le commandant Barker (B. Lancaster) dirige une équipe de conseillers militaires américains détachés dans une province du Sud-Viêt Nam. Son supérieur, le général Harnitz, lui demande de faire réoccuper un village à l'abandon nommé Muc Wa, où les Français s'étaient déjà battus pendant la précédente guerre d'Indochine. Ils y avaient laissé 300 morts. Barker est persuadé que les détachements du FNL vietnamien n'ont aucune intention de s'occuper de ce village. Il exécute cependant les ordres : Il forme donc un détachement composé d'un groupe d'une vingtaine de travailleurs civils vietnamiens, auquel on a confié des fusils de chasse, et d'une unité de militaires sud-vietnamiens, dirigés par un sergent autochtone, surnommé « Cowboy ». À la tête du détachement, il place le sous-lieutenant Hamilton (Joe Unger), fraîchement promu de l'école d'officiers mais totalement inexpérimenté. Il lui adjoint quelques recrues et sous-officiers américains. Parmi eux, seul le sergent-major Leo Oleonowski (J. Goldsmith) possède une véritable expérience militaire : ancien de la guerre de Corée, il est depuis trois ans au Viêtnam. Malheureusement pour le groupe, il est au bord de la dépression....
Le titre français est une référence à la manière dont les Français considéraient la guerre d'Indochine à partir de 1950 mais ne rend pas du tout l'esprit beaucoup plus noble du titre original, Va dire aux Spartiates, qui est un extrait de l'inscription du monument élevé par les Grecs à Léonidas et à ses 300 héros de la bataille des Thermopyles : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois. » Ce message d'Hérodote a été gravé par les derniers parachutistes français sur leurs propres tombes en 1954 à la fin d'un conflit humiliant pour leur pays. La phrase à l'origine du magnifique titre anglais (Go Tell the Spartans) est symptomatique du propos et du ton du film. Le Merdier souligne que, dès 1964, alors que nul ne doute de la toute puissance des Américains qui renforcent leur présence en envoyant de nouveaux conseillers militaires, cette guerre s'annonçait absurde et vouée à répéter l'échec des Français, dix ans auparavant. Le commandant Barker le pressent bien, il est désabusé, mais s'efforce de rester digne et d'honorer son statut de militaire qui a vécu d'autres conflits (la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée). Il est campé par un Burt Lancaster magnanime avec ses nouvelles recrues inexpérimentés et pleines d'illusions. Ce sont ces relations chargées d'humanité qui empêche le film d'être totalement sombre. Le film n'est pas dénué d'humour non plus. Cependant, il jette une dure lueur sur le « rêve américain » qui, tout au long de ces années, se fissure. Le projet de Go Tell tne Spartans est resté six ans dans les cartons des producteurs. Le film sort trois ans après la fin du conflit vietnamien. Suivront Coming Home de Hal Ashby et Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, films traitant du même sujet.
Merveilleuse histoire de Mandy (La) (Mandy) [1952 - Royaume-Uni, 93 min. N&B] R. Alexander Mackendrick. Sc. Nigel Balchin, Jack Whittingham d'après le roman The Day Is Ours de Hilda Lewis. Ph. Douglas Slocombe. Mont. Seth Holt. Mus. W. Alwyn. I. Phyllis Calvert (Christine), Jack Hawkins (Dick), Mandy Miller (Mandy), Terence Morgan (Harry), Godfrey Tearle (Mr. Garland). Prix Spécial du Jury au Festival de Venise 1952.
~ Mandy, sourde à sa naissance, est tiraillée entre ses parents qui ne sont pas d’accord sur l’éducation à lui donner. Sa mère l’inscrit dans une école spécialisée où un professeur la convainc que, grâce à ses méthodes, Mandy pourra peu à peu apprendre à parler. Vexé, le père retire l’enfant de l’institution…
Quelques remarques préliminaires sur Alexander Mackendrick et sur l'histoire du cinéma britannique. Dans un ouvrage de souvenirs, le producteur Michael Balcon (1896-1977), pour lequel travailla le réalisateur, racontait cette anecdote extraordinaire : le pionnier du cinéma national, William Friese-Greene, s'écroula et rendit son ultime soupir - nous étions en 1921 - à la suite d'une allocution où il déplorait la domination du cinéma hollywoodien sur les écrans britanniques. Lorsqu'on fit ses poches, on n'y trouva qu'un shilling et dix pence... Au fond, tout ceci résumait l'état du cinéma local. Non que celui-ci manquât d'idées et de talents, mais sa place était considérée, dans l'esprit d'un peuple, comme un divertissement de seconde importance. D'autre part, on se contentait souvent d'offrir les studios anglais aux productions américaines. Cinéastes et techniciens nationaux allèrent donc travailler à Hollywood. Comme tant de ses collègues, Alexander Mackendrick traversa souvent l'Atlantique. Cependant, dès sa petite enfance, le réalisateur avait, quant à lui, connu la dure expérience de la transplantation. Souligner cet aspect n'a rien d'innocent si l'on veut comprendre Mandy.
Mandy aborde un thème peu prisé : celui de l'enfance handicapée. L'héroïne du film est frappée de surdité. Cette affection la rejette forcément dans la solitude. Or, à travers quelques films, Mackendrick, qui n'eut guère le loisir d'être un réalisateur prolifique - 13 longs métrages -, s'attacha à décrire des cas d'enfants ou d'adolescents fragilisés. Hélas, ce n'est pas, en règle générale, ce que l'on retient de sa filmographie ou de son activité cinématographique. Pourtant, la partie la plus originale et la plus personnelle du réalisateur apparaît ici et dans deux autres films, le merveilleux film d'aventures Cyclone à la Jamaïque/A High Wind in Jamaïca (1965), réédité en DVD en 2011 et Sammy Going South (1963), inconnu en France mais que la Cinémathèque française projeta, en février 2016, dans le cadre d'une rétrospective consacrée au réalisateur. Alexander Mackendrick - son nom le suggère assez - fut d'ascendance écossaise : là encore, certains de ses films y ramènent, les comédies Whisky à gogo ! (1949) et The Maggie (1954). Ses parents avaient émigré aux États-Unis en 1911. C'est pourquoi Alexander naquit à Boston. Son enfance fut contrariée par la mort prématurée de son père, emporté par la terrible "grippe espagnole" qui sévit durant l'hiver 1918. Le garçon n'avait que six ans et sa mère, contrainte de travailler, dut céder la garde de son fils au grand-père paternel qui vivait, de son côté, en Écosse. Retourné sur la terre de ses ancêtres, Alexander ne revit jamais plus sa génitrice. De là, on comprendra sa sensibilité aux problèmes de l'enfance difficile.
Mandy est une œuvre singulière : d'abord, située au milieu de la production des studios d'Ealing, dirigés par Michael Balcon, elle détonne fortement. Mackendrick, à l'instar de ses collègues Charles Crichton et Robert Hamer, exploite, entre 1949 et 1955, un créneau typiquement britannique, celui de l'humour noir qui, en touches discrètes, livre une critique sociale parfois féroce. Mandy s'inscrit, a contrario, dans le registre dramatique qui nécessite, en outre, un grand réalisme psychologique. En deuxième lieu, il s'agit incontestablement d'une œuvre pionnière : peu de cinéastes ont abordé, avec autant de sérieux et de gravité, la question du handicap chez l'enfant - et, de surcroît, celui de la surdité. Enfin, cette thématique n'est plus ici simple composante d'un récit, elle constitue le cœur du film lui-même. On a parlé d'une dimension très documentaire à propos de Mandy : comment aurait-il pu en être autrement ?
Le film s'inspire effectivement d'un roman de Hilda Winnifred Lewis (1896-1974), The Day Is Ours, publié en 1946. Cette femme de lettres n'avait, jusque-là, écrit que des récits à caractère historique et un livre pour enfants. Elle avait éprouvé le besoin de relater une expérience personnelle. Plus justement, son mari était, en ce qui le concerne, spécialiste de l'éducation pour malentendants à l'Université de Nottingham, ville où s'était installé le couple. Mackendrick était, de son côté, connu comme un réalisateur exigeant et peu complaisant à l'égard de l'industrie cinématographique. Ayant travaillé comme documentariste auprès des ministères de l'Information et des Renseignements britanniques, il en avait assimilé les leçons essentielles, celles qui consistent à enraciner une histoire dans un contexte non détachée des réalités concrètes. Ainsi, installa-t-il, en partie, sa caméra au sein même des institutions officielles : en l'occurrence, la Royal Residential Schools de Manchester, établissement pour enfants sourds-muets dont les méthodes avaient fait leurs preuves. Ces données ont leur importance ; elles ne vous garantissent pas, pour autant, l'accès à une œuvre réussie. Le plus ardu reste à accomplir : rendre vraisemblable un récit et faire vivre des personnages avec les moyens propres au cinéma. Enfin, affronter son sujet avec audace : c'est-à-dire envisager les problèmes sans préjugés d'aucune sorte. Que ce soit sur le plan formel ou dans sa façon d'aborder la tragédie considérée, Mandy s'impose, là encore, comme une réalisation captivante. La pathologie dont souffre Mandy - l'interprète, une autre Mandy (Miller), est excellente et elle n'est pas sourde cependant ! - n'y est pas décrite extérieurement ; le film multiplie les angles de vue qui nous permettront d'entrer dans l'univers de claustration de la jeune fille. Ensuite, la surdité n'est jamais, tout uniment, constatée en tant que déficience. Nous savons qu'elle devient instantanément source de différence. Face à une impossibilité ou une carence, l'être vivant développe, en tant que défense et compensation, des facultés exceptionnelles que la normalité banalise ou relativise. Le film tente d'en rendre compte en opposant deux façons de percevoir la réalité : celle de la mère, beaucoup plus observatrice et émotive, et celle du père, égoïste et conformiste. Mackendrick note, sans cliché, les différences sociales voire de genres (hommes/femmes) et les mentalités correspondantes qui les expliquent. Au-delà, c'est la société toute entière qu'il faut réformer : dans son regard face au handicap, elle doit s'affranchir des idées reçues. Si le film ne vieillit pas, c'est qu'il est aussi extrêmement moderne pour l'époque. Du reste, ne suggère-t-il pas, philosophiquement parlant, et, avec subtilité, un discours implicite sur la surdité : Harry (Terence Morgan), le père, n'est-il pas sourd face à une réalité qu'il ne voit pas, celle de sa fille atteinte d'une défaillance qui l'isole du monde extérieur ? Alors qu'à l'inverse sa fille perçoit, dans une clarté aveuglante, un monde qui la terrorise et l’effraye ? Que le film de Mackendrick parvienne, cinématographiquement parlant, à suggérer d'utiles réflexions et une belle leçon d'humanité n'est pas un mince triomphe. Peut-être avait-il été oublié ? Alors, il est profondément juste de le rendre aux spectateurs dans une restauration digne de ce nom. Outre la direction d'acteurs, brille la photographie, en noir et blanc, du grand opérateur Douglas Slocombe, habitué des studios Ealing, qui, plus tard, servit magnifiquement Joseph Losey (The Servant, 1963). Grâce à celle-ci, nombre de séquences admirables nous entretiennent, de manière empathique, de la douleur, des efforts surhumains et de la progression lente mais sûre de Mandy. Le regretté André Bazin loua, dès sa sortie, le film de Mackendrick en ces termes : "(...) Il y a dans ce film une dizaine de minutes qui touchent au sublime. En particulier, la scène où la fillette prend pour la première fois conscience de l'existence du son et de leur rapport avec sa gorge et ses lèvres, par le truchement d'un ballon de baudruche. Mackendrick rend, en quelque sorte, physiquement sensible un événement spirituel, il nous fait le toucher du doigt comme Mandy elle-même touche le son qui fait battre la fine membrane de caoutchouc."
Mandy fut une grande première. Non que le cinéma soit, à ce sujet, symbole d'a priori : souvenons-nous de Chaplin et de son génial City Lights de 1931. Nous voulons rappeler ici une œuvre de Jean Négulesco, Johnny Belinda (1948), dans laquelle Jane Wyman, en fille sourde et muette, effectuait une prestation remarquée. Le cinéaste dénonçait la dureté d'un père (Ch. Bickford) qui traitait sa fille en inférieure alors qu'un médecin (Lew Ayres) démontrait, au contraire, sa grande intelligence. Tout cela ne pouvait être fortuit, alors que le monde entier avait pu, preuves à l'appui, découvrir comment le(s) fascisme(s) considéraient et traitaient les personnes handicapées. Plus tard, il y aura l'inoubliable The Miracle Worker/Miracle en Alabama (1962) d'Arthur Penn, inspiré par le témoignage d'Helen Keller (Sourde, muette, aveugle : histoire de ma vie - 1903), initialement mise en scène par le dramaturge William Gibson (1959), et dans lesquels excellèrent Anne Bancroft et la jeune Patty Duke. Enfin, Children of a Lesser God/Les Enfants du silence (1986), réalisé par Randa Haines, adaptait librement une pièce de Mark Medoff qui racontait une histoire sentimentale imprévue entre un enseignant et une jeune femme sourde dans le cadre de l'école Governor Kittridge (Nouvelle-Angleterre). L'actrice principale, Marlee Matlin, fut alors la première actrice sourde de l'histoire. La pièce eut une telle renommée qu'elle fut ensuite adaptée en France en 1993. C'est Emmanuelle Laborit - également sourde - qui joua le rôle principal et obtint, comme Marlee, une récompense. Mandy demeure néanmoins irremplaçable. Et, comme son titre le suggère, le combat contre le handicap est surtout un combat pour la vie. Accepter ce que nous sommes et se construire à partir de ce que nous sommes.