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Captive City (The) [1952 - États-Unis, 91 min. N&B] R. Robert Wise. Sc. Karl Kamb, Alvin Josephy Jr. d'après son propre récit. Ph. Lee Garmes. Mus. Jerome Moross. Mont. Robert Swink. Pr. Theron Warth, Aspen Prod. U.A. I. John Forsythe (Jim Austin), Joan Camden (Marge Austin), Harold J. Kennedy (Don Carey), Marjorie Crossland (Mrs Sirak), Victor Sutherland (Murray Sirak), Ray Teal (Gillette), Hal K. Dawson (Clyde Nelson). 

En route vers Washington, Jim Austin (J. Forsythe), rédacteur en chef d'un journal de Kennington, et son épouse vont déposer devant une commission du Sénat sur le crime organisé présidé par le démocrate Estes Kefauver (1903-1963). Ils sont pris en chasse par des « gens du milieu » agissant dans leur propre ville. Ils se réfugient alors dans un commissariat et demandent qu'on leur envoie une escorte policière afin de les protéger. Par précaution, Austin préfère enregistrer sa déposition au magnétophone. Austin avait été contacté par un détective privé, Clyde Nelson, lequel enquêtait sur un bookmaker, Murray Sirak, et pour le compte de son épouse. Le détective avait découvert que Sirak, devenu membre de la mafia, versait régulièrement de l'argent à la police locale. D'abord dubitatif, Austin modifie son jugement lorsqu'il apprend que Nelson vient d'être assassiné et que les autorités de la ville font bien peu d'efforts pour retrouver les coupables. Il mène alors ses propres investigations et apprend, petit à petit, qu'un certain Fabretti s'est installé en ville et commande un réseau de bookmakers qui a fini par corrompre les élus, les notables et la police de la ville... 

Film peu connu en France du réalisateur de The Set-Up (Nous avons gagné ce soir, 1949), un des quelques grands films sur la boxe. The Captive City n'a d'ailleurs jamais été distribué dans l'hexagone. Robert Wise (1914-2005) fut surtout un professionnel impeccable, capable de tirer son épingle dans tous les genres. Il savait en outre épouser l'air du temps et les idées d'un cinéma à venir. Comme celles du producteur Julian Blaustein sur les « soucoupes volantes », thème à la mode en ces temps-là. Il venait précisément, l'année précédente, de réaliser Le Jour où la Terre s'arrêta (The Day The Earth Stood Still), considéré comme la première œuvre de SF (science-fiction) du cinéma. Sorti en pleine guerre froide, ce film reflétait deux hantises majeures de l'époque : la guerre atomique et la présence dans l'espace d'OVNI ou d'extra-terrestres. Des années plus tard, Robert Wise avec Le Mystère Andromède (1971) renouera avec le genre. Si nous avons évoqué ces deux films, c'est parce qu'ils expriment, l'un et l'autre, une forme d'inquiétude anticipatrice sur la dégradation possible de la société moderne. On la retrouve dans cet excellent film noir qui tranche singulièrement d'avec le genre, au point qu'il paraît en indiquer la fin. Inspiré d'une réalité profondément authentique, The Captive City est forcément une œuvre indéridable. Elle préfigure les films policiers qui surgiront plus tard. Wise use d'un style sec et d'une précision quasi documentaire. The Captive City livre donc une analyse concrète d'un mal qui ronge la société et montre la nécessité de s'en défaire. Mais, à la façon de filmer le décor et d'en communiquer l'angoisse ressentie par ses personnages, Wise nous projette dans un univers qui pourrait devenir rapidement incontrôlable, un univers régi par la violence et l'illicite. The Captive City a la « force terrifiante d'un récit de science-fiction ». [J. Lourcelles]

 

Certaines nouvelles [1976 - France, 95 min. C] R. Sc. et dial. Jacques Davila. Scénario. Marie-France Bonin. Assistant réalisateur. Georges Bensoussan. Ph. Martial Thury. Déc. Vianey Brintet. Pr. Dovidis/SFP, Pierre Meurisse. I. Micheline Presle (Hélène), Bernadette Lafont (Mayette), Gérard Lartigau (Pierre), Caroline Cellier (Françoise), Frédéric de Pasquale (Jean), Roger Hanin (Georges), Martine Sarcey (Denise), Gérard Hernandez (son époux), Anémone (Marie-Annick), Zouzou (une jeune fille). Prix Jean-Vigo 1979. 

~ Pierre (Lartigau) est étudiant à Paris. En ce mois de juillet 1961, il revient en Algérie pour passer ses vacances auprès de sa mère Hélène (M. Presle). Le pays est plongé dans une agitation de fin d'époque. Pourtant, chacun vaque à ses occupations sans rien laisser paraître. Seul Pierre semble accorder une importance aux événements tragiques qui secouent cette Algérie encore française. Après son départ, l'ami de sa mère, un brigadier, est assassiné. 

Né à Oran, le regretté Jacques Davila (1941-1991), disparu trop tôt, réalise ici un premier LM à caractère autobiographique. Il s'agit, avec Les Oliviers de la justice (1962) de James Blue, adapté d'un roman de Jean Pélégri, du plus délicat témoignage sur la réalité d'une époque et d'un milieu dans une Algérie coloniale crépusculaire. Le réalisateur observe avec distance mais non sans attendrissement une famille européenne d'Algérie. Il laisse le spectateur libre de son propre jugement. Davila manifeste une lucidité remarquable lorsqu'il reconstitue l'ambiance faussement insouciante des Européens d'Algérie alors qu'autour d'eux le conflit atteint désormais un point de non-retour. Le film n'est sorti qu'en 1980. Preuve que ce drame - celui de la Guerre d'Algérie - et, surtout, son épilogue, avait bien du mal à être digéré en France. On retrouve au générique des acteurs de très grand talent, et outre Roger Hanin, Frédéric de Pasquale - dans le rôle de Jean - qui avait incarné un appelé du contingent dans un des premiers films français qui évoquait l' « innommé » et innommable Guerre d'Algérie, La Belle Vie (1963) de Robert Enrico.  

 

Choses de la vie (Les) [1970 - France, Italie, 89 min. ] R. Sc. Claude Sautet. Sc. Jean-Loup Dabadie d'après le roman éponyme de Paul Guimard. Ph. Jean Boffety. Mus. Michel Sarde. Mont. Jacqueline Thiédot. Déc. André Piltant. Cost. Jacques Cottin, André Courrèges. Pr. Jean Bolvary, Raymond Danon, Roland Girard. Fida Cinematografica, Lira Films, Sonocam. I. Michel Piccoli (Pierre Bérard), Romy Schneider (Hélène), Lea Massari (Catherine Bérard), Gérard Lartigau (Bertrand Bérard), Jean Bouise (François), Boby Lapointe (le bétailleur), Hervé Sand (le camionneur), Henri Nassiet (le père de Pierre), Marcelle Arnold (la mère d'Hélène). Prix Louis-Delluc 1970. Tournage : 19 juin - 13 août 1969, Charente-Maritime (Ile de Ré, La Rochelle) ; Paris (rue de Sèvres [VIe], rue de Bougainvilliers [XVIe] ; Yveline (Septeuil, Nauphle-le-Château, Théry). 

~ Pierre (Piccoli), architecte, époux de Catherine (Lea Massari) vit avec Hélène (R. Schneider). Instable et professionnellement insatisfait, ses rencontres avec son épouse sont teintées de regret et de désolation. Les relations avec son fils (Lartigau) sont plutôt médiocres. À l'occasion d'un déplacement automobile en province, il songe rompre avec Hélène. La destinée en décidera autrement... 

Observateur méticuleux du couple, de l'amitié au sein d'un univers social en constante transformation, tel apparaît, à nos yeux, Claude Sautet. Il faudra attendre Les Choses de la vie, son troisième LM, pour pouvoir clairement définir les caractéristiques de son cinéma. Comment rendre une vie - un titre du cinéaste portera ce titre : Une histoire simple - à travers un synopsis ou un résumé de scénario ? Une vie au demeurant écourtée et de manière totalement foudroyante. Celle d'un homme en pleine force de l'âge... Qui, ici, au volant de son Alfa Roméo Giulietta se projette, évalue son avenir avec indécision et quelque anxiété. Et, brusquement... L'homme ne succombe pas de suite, il a encore le temps de se souvenir et de s'interroger sur le futur de ceux qu'il aime : Hélène, son épouse Catherine, son fils Bertrand.

Sautet n'a pas voulu faire un film sur un phénomène social contemporain : l'accident d'automobile : en décrire sa cruauté et le fléau qu'il peut constituer. La réponse cinglante qu'il adressa à un journaliste de Paris-Match, à propos de la conduite de Michel Piccoli, est explicite. Cependant, le choix d'un pareil événement, inspiré, rappelons-le, d'une œuvre de Paul Guimard, nous paraît très avisé. C'était, à cette époque, un phénomène de société, une société dans laquelle l'automobile, signe de progrès, de vitesse et d'autonomie, devenait désormais un moyen de locomotion courant. Ce qui explique pourquoi ce film aura certainement marqué le public. Il n'était pas rare que beaucoup de Français n'ait pas vécu pareil drame, dans sa famille ou dans son entourage (amis, voisins etc.) Le réalisateur décrit cette tragédie à hauteur d'homme. Pierre Bérard c'est celui qu'on côtoie ou cela pourrait être vous ou moi. Et, de ce point de vue, Michel Piccoli l'incarne de façon bouleversante. Ce film consolidera, et de façon irrévocable, la réputation de l'artiste.

Si Jean Loup Dabadie et Claude Sautet ont tant soigné l'écriture de la séquence consacrée à l'accident, laquelle a entraîné dix jours de tournage (66 plans) et l'installation de trois caméras à trois angles différents, c'est avant tout parce qu'elle constitue, dans l'économie du film, un moment fondamental : celui où un homme prend conscience qu'il va mourir de façon totalement imprédictible et qui essaie d'accepter ce hasard affreux. Mais, sans doute, parce qu'elle est aussi la métaphore ingrate et brutale d'un choix que ne parvenait pas à faire Pierre (Michel Piccoli) : un choix entre deux vies, entre deux femmes. Enfin, c'est à partir de lui, fragments d'une vie d'hier, d'il y a quelques jours, quelques heures à peine, que tout s'ordonne à présent.

Le réalisateur offre tout à la fois le récit au ralenti et subjectif du conducteur et celui objectif à vitesse normale, ainsi que ceux des témoins afin de décrire la fin de Pierre Bérard, « cette valse lente qui mène à la mort ». (C. Sautet) Et, dans ces séquences, les plus belles et les plus significatives, s'y exprime paradoxalement, à travers la « vie rêvée » d'un homme, tout ce qui fait qu'on s'attache à elle : ce sont les choses de la vie. Ces petits riens qui deviennent de grandes choses lorsqu'on risque de les perdre à jamais. Dès lors, un film qui décrit la descente vers la mort se transfigure en ode à la vie. Gilles Jacob écrivit alors : « Digne d'un Fellini, une séquence restera fameuse : celle du mariage imaginaire. Le blessé garde les yeux clos, il fait provision de signes. Il voit son mariage avec Hélène, semblable à ce mariage champêtre qu'il vient de croiser sur la route, refuge enchantée de la vie révée [...] ; soudain, le panoramique se poursuit, le sourire se fige, Pierre découvre les témoins de l'accident, et, près de lui, le maquignon en habit. [...] Alors, Pierre comprend que c'est grave, la boussole intérieure s'affole : dernier galop. Et ce choc, le plus intense dans le cinéma français depuis Hiroshima mon amour, nous le ressentons avec lui en qui nous nous reconnaissons. » [G.J. in : Les Nouvelles littéraires, 19 mars 1970] Les Choses de la vie de Claude Sautet ou l'une des plus magnifiques chroniques d'une mort non annoncée.