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David  et Lisa [1962 - États-Unis, 95 min. N&B] R. Frank Perry. Sc. Eleanor Perry, d'après une nouvelle de Theodor Isaac Rubin. Ph. Leonard Hirschfeld. Mus. Mark Lawrence. Déc. Gene Callahan. Mont. Irving Oshman. Cost. Anna Hill Johnstone. Prod. Paul M. Heller. I. Keir Dullea (David Clemens), Janet Margolin (Lisa Brandt), Howard da Silva (le Dr Alan Swinford), Neva Patterson (Mrs Clemens). Prix Prima Opera à la Mostra de Venise 1962 (avec Los inundados - Argentine. F. Birri). 

~ David (Dullea), un jeune homme de dix-huit ans, souffre de  compulsivité obsessionnelle. Il entre dans une institution psychiatrique pionnière. Surdoué et prétentieux, il ne se lie guère aux autres. Il passe son temps à surveiller l'exactitude horaire. Au sein de son groupe, il remarque d'emblée Lisa (Margolin), une schizophrène qui s'exprime en vers rimés. Insensiblement, l'intérêt de David pour Lisa se mue en tendre affection...

Issu du théâtre où il fut l'élève de Lee Strasberg, directeur de l'Actors Studio de New York, Frank Perry (1930-1995) fit de prometteurs débuts avec David et Lisa. Sous l'instigation de son épouse, la scénariste Eleanor Perry, qui fut extrêmement fasciné par la nouvelle de Theodor Rubin, Frank Perry réalise un film d'une grande originalité et d'une touchante justesse. Il ne fera, selon nous, guère mieux ensuite. Même si des œuvres comme Last Summer (1969) ou Diary of a Mad Housewife (1970) voire The Swimmer (1968) avec Burt Lancaster que Sydney Pollack retouchera, prouvent qu'il est un metteur en scène sincère et soucieux de sortir des sentiers rebattus. Ici, il s'attache avant tout à décrire un milieu - celui de la psychiatrie, monde hermétique régi par des lois strictes - et, aspect plus déterminant encore, des personnages. Les jeunes David et Lisa sont finement observés, non à travers leur maladie dont il ne recherche, par ailleurs, jamais les fondements, mais en tant qu'êtres humains sensibles et doués d'intelligence. Frank et Eleanor Perry axent leur effort principal sur l'interprétation des acteurs - Keir Dullea, 26 ans, le futur astronaute de 2001, Odyssée de l'espace de Kubrick ;  Janet Margolin, 18 ans, actrice du Nouvel Hollywood. Interprétation qui atteint un rare degré d'émotion et de simplicité, y compris dans les séquences les plus complexes.  

 

Dentellière (La) [1977 - France, Suisse, 107 min. C] R. Claude Goretta. Sc. C. Goretta, Pascal Lainé d'après son roman, prix Goncourt en 1974. Ph. Jean Boffety. Mus. Pierre Jansen. Mont. Joële Van Effenterre. Déc. Claude Chevant, Serge Etter. Pr. Daniel Toscan du Plantier, Action Films, FR", Janus Film und Ferneh-Produktion, Citel Films. I. Isabelle Huppert (Béatrice, dite Pomme), Yves Beneyton (François), Florence Giorgetti (Marylène), Anne-Marie Düringer (la mère de Pomme), Renate Schroeter (Marianne), Monique Chaumette (la mère de François), Jean Obé (le père de François), Michel de Ré (le peintre), Sabine Azéma (Corinne), Jeanne Allard (Thérèse). Prix du Jury Oecuménique Festival de Cannes 1977 (ex-aequo avec J.A. Martin photographe de Jean Beaudin). 

~ Béatrice, surnommée Pomme (I. Huppert), 18 ans, est apprentie dans un salon de coiffure parisien. Discrète, gracieuse et taciturne, Pomme, indifférente aux jactances, ne perturbe point les autres. Sa patronne, Marylène (F. Giorgetti), très expansive et en recherche d'amour, la prend sous son aile. Lors d'un périple commun à Cabourg, Pomme fait la connaissance de François (Beneyton), étudiant brillant et cultivé, et, cependant, terriblement timoré. Elle s'installe avec lui dans sa chambre d'étudiant. Béatrice alias Pomme n'appartient ni à son milieu, ni à son environnement culturel. Elle l'écoute silencieusement. Le fossé qui les sépare aura raison de leur amour... 

Né à Genève, d'un père d'origine italienne et d'une mère d'origine allemande, Claude Goretta (1929-2019) fut, avec Alain Tanner et Michel Soutter, et à partir des années  1970, une des figures majeures d'un cinéma suisse jusqu'ici quasi inexistant. C'est d'ailleurs, avec ces deux cinéastes entre autres, qu'il cofondera la société de production du Groupe 5 qui signera des accords de réalisation avec la Télévision Suisse Romande. Pour le magazine « Continents sans visa », il réalisera 25 reportages, tant en Amérique qu'en Europe, ainsi qu'un portrait de Johnny Halliday (Un roi triste, 1966). Il signe des téléfilms de fiction d'une belle qualité (Tchékhov ou le miroir des vies perdues, 1964 ; Jean-Luc persécuté d'après Ramuz, 1965 ...) et des documentaires d'une grande simplicité et d'une rare qualité d'écoute (Pour vivre ici,  1963 ; Le Paysan ouvrier, 1964 ; Micheline, 6 enfants ... 1967). Aussi, n'est-ce pas, à proprement parler, un débutant lorsqu'il met en scène Le Fou (1970, avec François Simon et Camille Fournier), son premier LM. L'Invitation (1973) représente son pays au Festival de Cannes. Superbement interprétée par Jean-Luc Bideau et Michel Robin, cette comédie douce-amère, d'un propos modeste quant au fond, est un pur miracle d'observation. Goretta obtient le Prix du Jury et le Prix international. Le ton très personnel du réalisateur se précise plus clairement avec La Dentellière, inspiré d'un roman de Pascal Lainé qui décrit l'impossible réunion de deux êtres que tout oppose. Le romancier fait précéder son récit d'une citation de Tonka de Robert Musil : « Un être qui ne peut ni parler ni être exprimé, qui disparaît sans voix dans la masse humaine [...] un être pareil à un flocon de neige égaré en plein été, est-il réalité ou rêve, est-il bon ou mauvais, précieux ou sans valeur ? » Qui est donc Pomme celle qui deviendra la Dentellière ? Qu'avait-elle pour intriguer et attirer le « fils de bonne famille » ? Ici, Claude Goretta l'a voulu timide, ce fils de la bourgeoisie normande. C'est cela qui les a rapprochés. Pour autant, François (Yves Beneyton) manie la langue avec aisance et comble, tout au long du film, les silences de Pomme. « Pomme manque de mots pour vivre dans le monde, pour dire qui elle est et ce qu'elle ressent. Face à ce mutisme, François part. La fêlure sera définitive pour Pomme, une souffrance vécue sans protestation. La Dentellière est un film d'une grande délicatesse sur les barrières sociales, la solitude des êtres, mais aussi une réflexion sur le couple. » [Catalogue Lumière 2024] « Rarement un film aura été marqué par la rencontre d'une comédienne et d'un personnage, écrit Jean-Luc Douin. Frileuse, lumineuse, exprimant magistralement ses sentiments d'un frémissement des lèvres, Isabelle Huppert s'est littéralement approprié le déchirant itinéraire de la dentellière blessée. Des yeux calmes comme un lac trop tranquille dans le cadre survolté d'un Cabourg en période estivale, elle arbore la grâce et la majesté d'une figure de Vermeer de Delft, peintre de la vie au ralenti, de la délicatesse et de la discrétion. » [Télérama, 2 juin 1977]

 

Dernier métro (Le) [1980 - France, 131 min. C] R. François Truffaut. Sc. F. Truffaut, Suzanne Schiffman (assistant). Ph. Nestor Almendros. Mus. George Delerue. Son. Michel Laurent. Mont. Martine Baraque-Curie. Cost. Lisèle Roos. Pr. Les Films du Carrosse (Truffaut), SEDIF Productions, SFP, TF 1 Films Prod. I. Catherine Deneuve (Marion Steiner), Gérard Depardieu (Bernard Granger), Jean Poiret (Jean-Louis Cottins), Andrea Ferreol (Arlette Guillaume), Paulette Dubost (Germaine Fabre), Sabine Haudepin (Nadine Marsac), Jean-Louis Richard (Daxiat), Maurice Risch (Raymond Boursier), Heinz Bennent (Lucas Steiner). Tournage : 28 janvier / 21 avril 1980. 10 Césars en janvier 1981. 

~ Septembre 1942. Lucas Steiner (Bennent) juif allemand, réfugié à Paris depuis l'avènement d'Adolf Hitler dans son pays, se terre dans le sous-sol de son théâtre, laissant à sa femme Marion (C. Deneuve) la responsabilité du prestigieux Théâtre Montmartre. Un faux certificat d'aryanisation lui permet de monter la pièce norvégienne, La Disparue dont Lucas avait préparé la mise en scène. Chaque soir, Marion lui rend visite et commente avec lui le travail des comédiens, notamment celui du jeune premier de la troupe, Granger (Depardieu)...

Largement inspiré de l'ouvrage du journaliste Hervé Le Boterf, La vie parisienne sous l'Occupation publié en 1978, Le Dernier Métro raconte pour partie la vie de Margaret Kelly (la danseuse Miss Blubell) et de son mari Marcel Leibovici pendant l'Occupation. L'intrigue est calquée sur la pièce de théâtre Carola de Jean Renoir. Le film comprend également de nombreuses références à l'actualité culturelle française des années 1940. Les arrestations successives, à la Libération, du personnage incarné par Jean Poiret sont très librement inspirées des déboires de Sacha Guitry. La scène où le personnage de Gérard Depardieu s'en prend au critique de Je suis partout est tirée d'un incident qui opposa Jean Marais à Alain Laubreaux. 

En tournant Le Dernier métro, Truffaut satisfait trois désirs :

 - Montrer les coulisses d'un théâtre ; évoquer l'Occupation - période de son enfance - ; offrir à Catherine Deneuve un rôle de femme-chef de troupe. Catherine Deneuve, avec laquelle il avait fait La Sirène du Mississipi - Truffaut se cite d'ailleurs lui-même : les paroles d'amour de la pièce de théâtre jouée dans le film par les personnages de Catherine Deneuve et Gérard Depardieu sont tirés de La Sirène du Mississipi avec, en particulier, les expressions « C'est une joie et une souffrance » et «  L'amour fait mal ». Il pensait qu'un film sous l'Occupation, soumise au couvre-feu, devait se dérouler presque entièrement la nuit et dans des lieux clos, qu'il lui fallait représenter l'époque par l'obscurité, la claustration, la frustration et la précarité. Le tout agrémenté des chansons qu'on entendait alors dans la rue et dans les postes de T.S.F. « Il en résulte un film d'amour et d'aventures qui exprime, je l'espère, notre aversion pour toutes les formes de racisme et d'intolérance, mais aussi notre affection profonde pour ceux qui ont choisi le métier de comédiens et l'exercent par tous les temps » jugera François Truffaut. Ce film n'est pas éloigné de l'esprit d'un Jean-Paul Sartre écrivant, en septembre 1944 : « [...] Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande. Nous avions perdu tous nos droits et d’abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse, comme travailleurs, comme Juifs, comme prisonniers politiques ; partout sur les murs, dans les journaux, sur l’écran, nous retrouvions cet immonde visage que nos oppresseurs voulaient nous donner de nous-mêmes : à cause de tout cela nous étions libres. [...] Me comprendra-t-on si je dis à la fois que l'Occupation était intolérable et que nous nous en accomodions fort bien ? » [« La République du silence », Les Lettres françaises, 9 septembre 1944, n20] C'est également un hommage à Ernst Lubitsch et son To Be or Not to Be (1942), comédie sur une tragédie : le nazisme et ses horreurs. Lubitsch qui déclara : « Pour eux (les nazis), les coups et la torture relèvent depuis longtemps de la routine. Ils en parlent comme des commerçants parlent de la vente d’un sac à main. Leur humour porte sur les camps de concentration et les souffrances de leurs victimes. » [Nicholas Jones, « Hamlet in Warsaw: The Antic Disposition of Ernst Lubitsch », Brunel University, West London, 2001] Truffaut obtint avec ce film tous les succès possibles : 3,3 Millions d'entrées en France et dix Césars. Il crut à un « malentendu ».

Les scènes de théâtre ont été tournées au théâtre Saint-Georges à Paris. Le tournage a ensuite eu lieu dans une chocolaterie désaffectée, rue du Landy à Clichy, transformée en studio de cinéma pour reconstituer Paris sous l'Occupation. Une des dernières scènes est tournée devant le domicile de Jean-Loup Cottins, 1 avenue de Camoëns (16e arrondissement de Paris).

 

Dernières vacances (Les) [1948 - France, 95 min. N&B] R. Roger Leenhardt. Sc. R. Leenhardt, Roger Breuil d'après une idée de Maurice Junod. Ph. Philippe Agostini. Déc. Louis Barsacq. Mont. Myriam (Borsoutsky). Mus. Guy Bernard. Cost. Yvonne Gerber. Pr. L.P.C. Pierre Gérin. I. Michel François (Jacques Simonet), Odile Versois (Juliette Lherminier), Berthe Bovy (Tante Délie), Pierre Dux (Valentin Simonet), Renée Devillers (Cécile), Jean d'Yd (Valentin Lherminier), Christiane Barry (Odette), Frédéric Munié (Édouard), Raymond Farge (Augustin), Marcelle Monthil (Amélie), Jean Varas (Pierre Gabard). Lieux de tournage extérieurs : Bardelle, Villevieille, Brouzet-les-Quissac (Gard). 

~ Été 1933Toute une famille de la grande bourgeoisie protestante se retrouve, pour de dernières vacances, dans le domaine ancestral de Torrigne (Gard), lequel doit être vendu. Les enfants échafaudent une conspiration contre le représentant des acquéreurs.  

Premier des deux LM de fiction réalisés par Roger Leenhardt (1903-1985). Grand intellectuel du cinéma - il travailla aux Lettres françaises, aux Temps modernes et à L'Écran français -, il est l'auteur de plus d'une trentaine de CM documentaires sur des sujets les plus variés : sociaux, politiques, culturels. Auteur d'un scénario très personnel, lié à sa  propre enfance, il chercha à le faire réaliser, tour à tour, par Georges Lacombe puis par Henri Calef. En vain. Il franchit donc le pas. Il tourna sa première fiction en 1947. « L'originalité des Dernières vacances, déclara-t-il, c'est que ce sujet - un classique sinon un poncif de la littérature française du XXe siècle, le « roman de domaine » selon Albert Thibaudet - n'avait jamais été écrit pour l'écran. » [In : L'Avant-scène, n° 255, 1980] Comme l'écrit Jacques Lourcelles, « c'est le film des adieux : à l'enfance, à la famille, du moins dans sa forme ancienne et tribale, regroupée dans un espace et un domaine bien à elle ; à une ère sociale et à une époque révolues. » [op. cité] C'est, pour ces raisons-là, un témoignage précieux. Il l'est d'autant plus qu'il n'est pas tout à fait un récit purement fictionnel. Placé dans le Gard, la patrie de Roger Leenhardt, le film démontre, une fois de plus, que ce sont les grands écrivains, comme l'ont été Proust ou Balzac, et, à leur suite, les réalisateurs de fictions, qui peuvent le mieux saisir le pouls et l'âme d'une époque : « emmêler le fil des destinées individuelles à celui des groupes sociaux et des moments privilégiés de l'Histoire. » (J. Lourcelles) Aussi, ce film nous transmet quelque chose de plus profond et de plus fort qu'un film comme Le Blé en herbe de M. Autant-Lara qui l'accusa de plagiat. Ici, il ne s'agit ni de fin de vacances, ni uniquement du délicat passage de l'adolescence à l'âge adulte. « [...] quelque chose agonise devant nous avec des gémissements et des supplications que d'abord nous n'entendions pas : une enfance », affirme Michel de Saint-Pierre. [Témoignage chrétien, 9 avril 1948] Car, il ne s'agit pas de l'enfance naturellement, mais bien plutôt d'une enfance bourgeoise dans un cadre particulier. Ici, intervient la notion d'enracinement. Quelques observateurs conduits à évoquer, à propos du film, l'art du romancier Jacques Chardonne (1884-1968), délicat prosateur de la Charente. À cette différence près - considérable, à notre sens - qu'ici nous sommes en Languedoc - patrie protestante - tandis qu'en Angoumois, le catholicisme y est dominant.

En second lieu, il convient de voir Les Dernières vacances comme une œuvre sur le temps qui passe, sur le flux, « une navigation permanente, pour une grande part dépourvue de boussole » (Roger-Pol Droit) - « Je ne peins pas l'être. Je peins le passage : non un passage d'un âge à un autre... mais de jour en jour, de minute en minute », disait Montaigne  (Essais III, 27) -, au sens où Leenhardt n'observe jamais son monde avec nostalgie. Il admet logiquement qu'il puisse en être ainsi, irrévocablement. En être sensible, il ne nie pas non plus la réalité d'une perte, d'une cruelle disparition. Là, réside la force des Dernières vacances. Son apparente sécheresse est l'expression d'une lucidité. Film d'essence littéraire, Les Dernières vacances n'oublie en aucune manière les propriétés si ce n'est les vertus du cinématographe. « Son écriture est d'une fluidité, d'un tour narratif qui ne le doivent qu'au cinéma. C'est une promenade dans un passé retrouvé, revécu dans limaginaire, et le film se construit autour des réminiscences, s'organise autour d'elles dans un style souverainement détendu, libre comme la pensée, le meilleur du film est peut-être d'avoir su restituer avec un charme indéfinissable ce sentiment du passé préservé par la mémoire en son effacement même. » [Jean Mitry, Histoire du cinéma, tome V, J.-P. Delarge éditeur, 1980]

Premier film de la seconde des quatre sœurs Poliakoff, Katiana de Poliakoff-Baïdaroff (1930-1980). Elle adopte sur ce film le nom d'artiste d'Odile Versois. « Tania Poliakoff : C'était un nom un peu provocant pour jouer le rôle de la jeune fille française type. elle prit le pseudonyme d'Odile Versois », disait Roger Leenhardt. Les autres sœurs d'Odile Versois, toutes firent du cinéma, sont Marina Vlady, Hélène Vallier et Olga Ken.