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Family Life [1971 - Royaume-Uni, 107 min. C] R. Ken Loach. Sc. David Mercer, d'après sa pièce In Two Minds. Ph. Charles Stewart. Mont. Roy Watts. Script-girl. Penny Eyles. Cost. Daphné Dare. Mus. Mark Wilkinson. Pr. Anglo-Emi films Nat Cohen, Tony Garnett. I. Sandy Ratcliff (Janice Bailden), Bill Dean (Mr. Bailden), Grace Cave (Mrs. Bailden), Malcolm Tierney (Tim), Hilary Martyn (Barbara), Michael Riddall (Dr. Donaldson), Alan McNaughton (Caswell), Johnny Gee (le garçon dans le parc).
~ Une jeune fille, Janice (S. Ratcliff), en conflit avec ses parents, est conduite par eux chez un psychiatre. Un des éléments importants qui ont causé sa schizophrénie est l'avortement qu'elle a subi sous la pression de sa mère. Elle est prise en main par un thérapeute (Mike Donaldson/ M. Riddall) qui exclut tout recours aux neuroleptiques et aux traitement brutaux. Selon Mike, il s'agit d'aider Janice à s'émanciper de la tutelle familiale. Le conseil des médecins de l'hôpital envoie Mike poursuivre ses expériences novatrices ailleurs. Janice passe alors dans le service du professeur Caswell (A. McNaughton). L'appareil médical, avec la bénédiction des lois et l'appui de la famille, use d'électrochocs à l'encontre de Janice. Celle-ci entre peu à peu dans l'apathie et l'isolement...
Fanfan la Tulipe [1952 - France, Italie, 102 min. N&B] R. Christian-Jaque. Sc. René Wheeler, René Fallet. Adaptation : Christian-Jaque, R. Wheeler, Henri Jeanson. Dialogues : H. Jeanson. Mus. Maurice Thiriet, Georges van Parys. Ph. Christian Matras. Déc. Robert Gys. Cost. Marcel Escoffier. Mont. Jacques Desagneaux. Maître d'armes. André Gardère. Son. Guy Villette, Lucien Lacharmoise, Jacques Carrère. Pr. Alexandre Mnouchkine / Filmsonor, Les Films Ariane. I. Gérard Philipe (Fanfan la Tulipe), Gina Lollobrigida (Adeline), Noël Roquevert (Fier-à-Bras, le maréchal des logis), Marcel Herrand (Louis XV), Sylvie Pelayo (Henriette de France), Nerio Bernardi (le sergent-recruteur La Franchise), Geneviève Page (la marquise de Pompadour), Olivier Hussenot (Tranche-Montagne), Jean Parédès (le capitaine de la Houlette), Jean Debucourt (la voix de l'historien). Ours d'argent et Grand Prix du jury au Festival de Berlin 1952 ; Prix de la mise en scène Festival de Cannes 1952.
~ L'action se déroule durant la Guerre de Sept Ans (1756-1763), le premier conflit mondialisé en Europe. Le bon vivant Fanfan (G. Philipe), engagé dans le régiment d'Aquitaine, s'éprend d'une jeune bohémienne, Adeline (Lollobrigida). Elle se présente comme diseuse de bonne aventure et lui prédit un avenir radieux. Il épouserait même la fille du roi Louis XV. Fanfan se rend compte qu'elle est la fille du sergent -recruteur (Bernardi). Il ne lui faut donc accorder aucun crédit à ses présages. Il sauve la fille du roi, Henriette (Pelayo) et Mme Pompadour (Page), agressées sur la route par des brigands. En guise de reconnaissance, cette dernière lui offre une broche en forme de tulipe. D'où son surnom...
À l'orée des années 1950, Gérard Philipe avait tant marqué ses interprétations dans Le Diable au corps (1947, C. Autant-Lara), La Chartreuse de Parme (1948, Christian-Jaque) ou Une si jolie petite plage (1949) qu'il semblait désormais prédestiné, au cinéma du moins, à n'être qu'un amant à la beauté subliminale, pure et inaccessible. Au fond, il était le rêve incarné. Et, comme les rêves, on finissait par croire qu'on ne l'avait jamais, au grand jamais, ni touché ni même approché. Écoutez donc Maria Casarès, sa partenaire dans La Chartreuse de Parme et Le Cid au théâtre, le décrire : « Il passait, insaisissable, invisible si j'ose dire, comme une âme errante qui cherche dans ce monde un support pour se préciser, pour s'incarner. [...] Profondément romanesque, épris de légendes, il appartenait plus au roman et à la légende qu'à la vie. » De fait, le comédien avait « peur d'être catalogué parmi les romantiques tristes ». «Déjà, disait-il, je sentais derrière moi le poids des héros romantiques que j'avais incarnés... et j'avais grande envie de remuer. » [In : Gérard Philipe, souvenirs et témoignages, Gallimard-Nrf, 1960] À dire vrai, si Gérard Philipe nous est demeuré si jeune d'apparence, ce n'est pas uniquement parce qu'il s'est envolé aux cieux trop tôt. Il l'était resté intérieurement, au point qu'il ne pouvait qu'être l'idole des enfants et des adolescents. Il les fascinait littéralement. Il parlait leur langage, habitait leur âme et savait à merveille échauffer leur imagination. L'acteur désirait montrer une image plus authentique de sa personnalité. Aussi la proposition de Christian-Jaque constitua une belle opportunité. « Je n'ai vraiment découvert Gérard que pendant Fanfan la Tulipe, avouait Christian-Jaque. Pendant le tournage de La Chartreuse de Parme d'après Stendhal, j'entrevoyais certains aspects de son caractère, mais je peux dire que dans Fanfan la Tulipe ce fut un épanouissement. Il y a eu une sorte d'osmose. Gérard, d'un côté, devenait Fanfan dans la vie de tous les jours, et d'un autre côté, enrichissait de sa personnalité le personnage de Fanfan. C'est certainement ce personnage lui-même, avec sa spontanéité, son côté frondeur et irrespectueux, qui a fait craquer cette retenue, cette réserve, qui m'avaient toujours frappé chez lui. J'ai découvert un Gérard Philipe gai, charmant, enthousiaste, espiègle, et même déchaîné, par moments. » (op. cité) Il faut, par conséquent, ne voir dans Fanfan la Tulipe qu'une légende d'abord conjecturée par René Wheeler et René Fallet, mais ensuite recréée et animée par Gérard Philipe. Mais, dans ce héros transcendé par l'acteur - un « rôle déployé comme un étendard par Gérard Philipe » dira Roger Boussinot -, il y avait une part de vraisemblance. On retrouve en effet ce type de paladin populaire dans l'imaginaire du film de cape et d'épée en Europe. Un paladin au caractère certes mythique, mais aussi truculent et burlesque. Un personnage proche du saxon Till l'Espiègle du romancier Charles De Coster. Celui-ci le transforma en figure de la résistance flamande à l'occupation espagnole au XVIe siècle. Du reste, quatre ans plus tard, Gérard Philipe en réalisa une version cinématographique avec le concours de Joris Ivens et de René Barjavel au scénario. Il était naturellement, là encore, le fameux saltimbanque farceur qu'aime le bas-peuple et que déteste les puissants. Le public - enfants, adolescents et adultes - et la critique tout autant firent fête à Fanfan la Tulipe - 6,7 M de spectateurs en France. Gérard Philipe acquit dès lors une réputation de dimension internationale. On reconnut dans cette étourdissante chorégraphie, truffée de joyeuses impertinences et de formules langagières inédites, des qualités propres à la comédie, au cinéma, à l'art tout simplement, et non à la rigueur historique : la présence ici d'Henriette de France (décédée en 1752) et l'usage d'armes à feu, en particulier, relèvent, bien entendu, du pur anachronisme. Le cinéma français ne retrouvera que très rarement semblable fougue.
Les extérieurs ont été réalisés pour la plus grande partie à Grasse, notamment au quartier de la Paoute (domaine de Saint-Donat), au château de Castellaras (près de Mouans-Sarthoux) ainsi qu'au château de Maintenon et à Sospel.
Le succès triomphal de Fanfan la Tulipe a entraîné sa novélisation par Georges G. Toudouze (Taillandier, 1952). Remake de Gérard Krawczyk en 2003 avec Vincent Perez et Pénélope Cruz, nettement moins plébiscité par le public.
Fantômes de Goya (Les) (Goya's Ghost) [2006 - États-Unis, Espagne, 113 min. C] R. Miloš Forman . Sc. M. Forman, Jean-Claude Carrière. Ph. Javier Aguirresarobe. Mus. Varhan Orchestrovitch Bauer. Mont. Adam Boome. Déc. José María Alarcón, Eduardo Hidalgo. Cost. Yvonne Blake. Pr. Saul Zaentz, Kanzaman, Xuxa Producciones S.L. I. Javier Bardem (Lorenzo), Natalie Portman (Inès/Alicia), Stellan Skarsgård (Francisco Goya), Randy Quaid (le roi Charles IV), José Luis Gómez (Tomas Bilbatúa), Michael Lonsdale (l'inquisiteur général), Blanca Portillo (la reine Marie-Louise), Mabel Rivera (María Isabel Bilbatúa), Wael Al-Moubayed (le traducteur), Julian Wadham (Joseph Bonaparte), Unax Ugalde (Angel Bilbatúa), Fernando Tielve (Alvaro Bilbatúa). Tournage : 5 septembre 2005 au 9 décembre 2005. Palais de l'infant don Luisà Boadilla del Monte.
~ Royaume d'Espagne, 1792. Francisco Goya (Skarsgård) partage son temps entre ses fonctions de peintre officiel à la cour et sa production d'estampes satiriques. Celles-ci exaspèrent le frère Lorenzo (Javier Bardem). Il propose de répondre à la perversion de la société en renouant avec les pratiques de l'Inquisition. La ravissante Inès (Portman), fille d'un riche marchand et muse de Goya, est alors convoquée par le Saint-Office...
Avec le XVIIIe siècle espagnol, Forman aborde une part de l'histoire peu traitée au cinéma. Décors et costumes concourent à créer l'atmosphère d'une époque vue à travers les yeux du peintre Francisco Goya. Celui-ci est moins le sujet du film que son catalyseur. C'est à travers ce témoin que l'on découvre une fresque romanesque digne d'Alexandre Dumas, au centre de laquelle se trouvent deux personnages fictifs : Lorenzo et Inès. Le premier, opportuniste toujours convaincu et convainquant, est joué par un Javier Bardem au regard sombre. « C'est le regard d'un Tartuffe sincère, écrit Jean Douchet dans les Cahiers du cinéma, pour qui seule compte la vérité d'une conception religieuse, puis celle opposée de la philosophie des Lumières. Le film est construit en deux parties qui démontrent que ces deux regards ennemis se rejoignent dans une même vision erronée de l'existence qu'ils veulent imposer par la force. L'intérêt de ce sombre personnage vient de ce qu'il ne peut vivre que dans un mensonge perpétuel et détruire ce qu'il peut dominer. » Quant à Inès, la jeune fille de bonne famille que la folie guette, elle est interprétée par Natalie Portman, la Reine Padmé Amidala de Star Wars de George Lucas. Forman ne la connaissait pas. Lorsqu'il vit l'actrice israélienne sur la couverture d'un magazine, il pensa d'emblée à La Laitière de Bordeaux (1827), une toile de Goya peinte peu avant sa mort. Sa transformation est ici fascinante. Elle est la victime perpétuelle de Lorenzo et de ce qu'il symbolise : l'inconstance quasi-ironique de l'Histoire et des hommes qu'elle entraîne dans sa tourmente. Le personnage de Lorenzo serait, dit-on, inspiré par la figure réelle de Juan Antonio Llorente (1756-1823), qui fut secrétaire général de l'Inquisition espagnole à la fin du XVIIIe siècle et en écrivit une histoire : Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne. De ce personnage, Goya en dressa d'ailleurs un portrait en pied (1810-11 env.). Une idéologie (les idées révolutionnaires) en chasse une autre (la religion, opium du peuple). Forman dénonce les dérives de l'une comme de l'autre : l'Inquisition et ses sévices mais aussi les troupes napoléoniennes prétendant apporter la liberté en occupant le pays. On retrouve là un des thèmes chers à Miloš Forman, l'orphelin de la Seconde Guerre mondiale, l'exilé tchèque du Printemps de Prague réprimé. Un homme toujours dressé contre l'intolérance. [Références : Institut Lumière, Festival 2010]
Farrebique (ou Les Quatre Saisons) [1946 - France, 90 min. N&B, Doc] R. Sc. Georges Rouquier sur une idée de Claude Blanchard. Ph. André Dantan, M. Fradetal, J.-J. Rebuffat. Mus. Henri Sauguet. Mont. Madeleine Gug. Prod. Écran Français, Films Étienne Lallier. I. Les paysans de Goutrens (Aveyron). Tournage : Décembre 1944 - Novembre 1945. Prix FIPRESCI au Festival de Cannes 1946. Grand Prix du cinéma français 1946.
Biquefarre [1983 - France, 90 min. C, Doc] R. Sc. G. Rouquier. Ph. André Villard. Mus. Y. Gilbert. Prod. Midas SA, Caisse régionale de Crédit Agricole de l'Aveyron, National Endowment for the Humanities. I. Henri Rouquier, Maria Rouquier, Roger Malet. Grand Prix spécial du Jury Festival de Venise 1983.
~ Farrebique - une ferme du Rouergue (Massif Central). « Une histoire qui se déroule au cours des quatre saisons, divisant le film et servant de calendrier. » Né dans l'Hérault en 1909, Georges Rouquier avait un père Aveyronnais, mort sur le champ de bataille à Verdun en 1915. Le jeune orphelin se passionna très tôt pour le cinéma. Il tourne son premier CM documentaire, Vendanges en 1929. Cet attachement pour sa région et pour le monde rural ne se démentiront plus. Au sujet de Farrebique - l'origine du nom n'est guère facile à déceler -, il déclara : « C'est toute une famille qui me connaissait depuis ma plus tendre enfance qui a interprété le film retraçant sa propre histoire (avec quelques tricheries). Je me suis placé comme un cinéaste faisant une étude sur les habitants d'un pays quelconque du globe et notant tout : mœurs, coutumes, religion. Je voulais aussi tout le frémissement de la nature : insectes, plantes, vie interne des végétaux, vie intense et extérieure de la nature. » [G. Rouquier, in Sadoul, Dictionnaire des films, op. cité] Le récit de ce film a été parfaitement résumé dans une fiche filmographique de l'IDHEC écrite par Édouard Berne et Yves Laplanche. Comme l'explique J. Lourcelles, le temps et le travail sont les deux thèmes essentiels du film. Le temps, dans son sens chronologique comme dans son sens météorologique. Le travail dans ses rythmes d'organisation particuliers. Le film est incontestablement austère. Il se refuse à en saisir les instants exceptionnels : communions solennelles, mariages, fêtes de fin de vendanges, bal du samedi soir etc. La photo est précisément là pour magnifier la rigueur et l'extrême sévérité du monde agricole. Farrebique est une ode aux travaux des champs et aux cycles naturels. Si les faits liés à la mort du grand-père - « le corbillard où s'accrochent les ronces du chemin conduisant au cimetière » - occupent une importance fondamentale dans le film, c'est parce qu'elle « représente en effet la grande rupture moins sur le plan spirituel et métaphysique que concret et physique : elle est avant tout cessation du travail et legs du travail aux autres. » (J. Lourcelles). Le grand-père, sentant sa fin toute proche, réunit la famille pour le partage : la ferme reste à Roch, le fils aîné. Mais, peut-être, revêtent-elles ici, une si profonde résonance en raison même des bouleversements sociétaux en gestation. Car, après avoir voulu décrire la cellule familiale d'une ferme isolée, observée tout au long des saisons, Rouquier souhaitait consacrer un film plus ancré dans les problèmes contemporains. Ne le lui avait-on pas reproché d'avoir réalisé une œuvre essentiellement ethnologique ? Elle demeure néanmoins irremplaçable par sa valeur de témoignage d'un monde disparu. Ne serait-ce que sur le plan linguistique. Tout au long du film, les grands-parents s'expriment en roergàs - un sous-dialecte occitan - et éprouvent beaucoup de mal à parler la langue française. On remarque que leurs enfants comprennent ce qu'ils disent, mais leur répondent souvent en français. Le petit-fils ne parle, en revanche, plus que dans la langue apprise à l'école primaire, et s'il lâche quelques mots en roergàs, c'est uniquement à l'adresse du chien. De la même façon, la structure familiale (le clan) en milieu paysan y est observé avec exactitude et l'on constate combien elle offre de similitudes avec d'autres pays d'Europe voire au-delà. « Les films soi-disant réalistes, traitant d'un événement insignifiant ou d'une tranche de vie, ne manquent pas. Les films paysans non plus. Pourquoi alors Farrebique est -il qualifié de vilain petit canard ? À mon avis, cela tient au génie de Rouquier, à sa capacité, si l'on veut, à tenir un œuf debout. Il a compris que la vraisemblance avait peu à peu pris la place de la vérité, que la réalité s'était lentement dissoute dans le réalisme. Il a donc entrepris, péniblement, de redécouvrir la réalité, de la ramener à la lumière, de la sortir nue du gouffre de l'art. […] Il n'y a pas d'histoire ici, ou très peu, et il n'y a pas de stars, pas d'acteurs : seulement une réalité que chacun, dans le secret de sa bonne ou mauvaise conscience, reconnaît personnellement. » [André Bazin, Farrebique ou le paradoxe du réalisme, essais et comptes rendus des années 40 et 50]
Trente-sept ans après, dans les mêmes lieux et avec les mêmes interprètes, Rouquier tourne Biquefarre (1983) grâce à une bourse obtenue, pour lui, par des universitaires de Cornell (Ithaca, État de New York) qui avaient admiré Farrebique. Désormais, les objections émises au moment de la sortie de Farrebique n'ont plus lieu d'être. Cette suite complète de façon harmonieuse et logique le film de 1946. Tout en conservant d'identiques méthodes d'approche, Rouquier nous laisse apprécier, avec une rare vérité, les bouleversantes transformations du monde paysan. L'espace temporel entre les deux films constitue, à dire vrai, un atout supplémentaire. Rouquier recrée, là encore, et plus encore sans doute, « une fiction si près de la réalité qu'elle pourrait paraître la réalité elle-même », selon ses mots. Les problématiques du monde moderne agricole sont admirablement définies. Rouquier offre la représentation d'une paysannerie de plus en plus asservie aux organismes financiers et aux impératifs de la filière agro-industrielle. « Pour acheter le matériel moderne, il faut produire. Pour produire, il faut s'agrandir. Pour s'agrandir, il faut emprunter. C'est l'engrenage, comme dit Raoul, le personnage du film qui refuse cette voie. » (G. Rouquier) De surcroît, ce monde agricole, en l'espace d'une génération, a singé les tendances du productivisme industriel. Au risque de déséquilibrer l'écosystème : la qualité des sols, de l'eau et de l'air ; la vie des insectes, ceux indispensables à la pollinisation ; la santé des animaux et celle des hommes eux-mêmes. Au risque d'engendrer un homme brisé, toujours plus démuni face aux injonctions de la machine économique. En ne modifiant rien de ses méthodes d'approche du réel, Rouquier fait ressortir, mieux encore, la criante rupture du monde agricole d'avec ses propres traditions. Ce qui a été démoli c'est l'accord instinctif de l'homme avec les éléments naturels. En quoi reposait l'harmonie d'autrefois ? Jacques Lourcelles nous l'explique ainsi : « Elle tenait à la relative solitude des individus, à la solidarité du groupe (famille, village), à une communion spontanée des paysans avec leur milieu. Aujourd'hui, note-t-il, l'individu possède tous les moyens de communiquer, mais le groupe s'est défait, éparpillé, ou est devenu très fragile. » La surmortalité par suicide des agriculteurs, au cours de ces dernières années, prouve le bien-fondé de ces remarques faites à propos de Biquefarre. Lourcelles épingle aussi la souffrance animale : « [...] on a souvent le sentiment d'être revenu à la case-départ du Sang des bêtes [documentaire sur les abattoirs de Villette, filmé par Georges Franju en 1949] ; c'est comme un [...] nouveau martyr des innocents. » [op. cité] Les conditions de travail et de vie du paysan se sont infiniment améliorées quand même. Georges Rouquier ne schématise, ni ne surcharge. Une lucidité supérieure lui commande de ne pas sombrer dans l'amère nostalgie. Comment le pourrait-on ? Il se contente de filmer, d'écouter et d'interroger. Avec sagesse et émotion, il veut nourrir, avant tout, la réflexion du spectateur.
Femme de nulle part (La) [1922 - France, 60 min. (1 700 m). N&B, muet] R. Sc. Louis Delluc. Ph. Alphonse Gibory, Georges Lucas. Déc. Robert-Jules Garnier, Francis Jourdain. Pr. Félix Juven / Films Cosmograph. I. Ève Francis (l'inconnue), Gine Avril (la jeune femme), Roger Karl (le mari), André Daven (le jeune homme), Noémi Scize (la nurse), Michel Duran (le jeune homme aimé par l'inconnue).
~ Dans une superbe villa de la campagne ligure, proche d'Ospedaletti, le chef de famille doit s'absenter pour une journée. Au moment de son départ, arrive une femme d'âge mûr (E. Francis) qui aurait jadis habité ici et y aurait laissé de nombreux souvenirs...
Cinquième des six LM de Louis Delluc (1890-1924), un des premiers théoriciens du cinéma et généralisateur du ciné-club. Marié à Ève Francis qui lui fit découvrir le cinéma américain, Delluc se sépare d'elle à l'été 1922, l'année de la sortie du film. Le titre de celui-ci renvoie d'ailleurs à un de ces westerns primitifs qu'il aimait tant, en l'occurrence Rio Jim, l'homme de nulle part (1915), interprété et dirigé par William S. Hart. On y retrouve son thème de prédilection : l'obsession du passé. Delluc résume son œuvre ainsi : « Une femme âgée, usée, finie, fait un ultime pèlerinage à la maison qu'elle quitta pour son malheur, il y a trente ans ; elle y retrouve une jeune femme dans la même situation et surtout l'image de ses heures de joie, et elle ne regrette pas d'avoir payé si durement le bonheur enfui. » Alors âgée de 36 ans, Ève Francis est donc sensée incarner une femme nettement plus vieille. En réalité, le rôle aurait dû échoir à l'immense Eleonora Duse qui, à 64 ans, était au crépuscule d'une carrière voire d'une vie. L'amante de Gabriele D'Annunzio s'éteindra en effet en 1924, atteinte d'une pneumonie au cours d'une de ses tournées américaines. Ève Francis, grande interprète et admiratrice de Paul Claudel, s'évertuant crânement à imiter la Diva, n'en sera qu'un pâle reflet : trop excessive, trop mécanique, jamais authentique. Qu'importe... le film s'impose qui nous communique un incroyable sentiment de modernité. Jacques Lourcelles nous en délivre les raisons : « Simplicité de l'intrigue [...] où le présent et la passé s'entremêlent sans le moindre artifice narratif ou visuel. Sobriété d'une mise en scène lisse et sèche. Refus de l'abstraction. » Le cinéaste applique ici, et avec brio, la règle des trois unités - unité d'action, unité de lieu, unité de temps. Delluc est surtout un conteur. Il ne crée pas la poésie au moyen d'un subterfuge et s'efforce de conserver, à travers les conseils contradictoires de son héroïne, une forme de détachement supérieur. Ce sont, avant tout, deux attitudes face à la vie qu'il met en contraste. La vie est ainsi faite, les êtres humains également. Chacun, chacune suit sa propre route selon ses propres inclinations. La Femme de nulle part n'est rien d'autre qu'un poème ou une mélodie, suivant les mots du critique Léon Moussinac, l'ami d'enfance du cinéaste. Qui écrivait aussi : « Un film complet, d'un souffle égal, sans défaillance. Le thème visuel s'y développe harmonieusement, uni, tendre. Souvenir, amour, et aussi bien souvenir de l'amour qu'amour du souvenir. Un tel film crée surtout un état d'âme, et j'en sais peu qui suggèrent davantage. La visite du parc, où la femme se heurte à chaque pas à un souvenir ancien, la montée en vertige de l'escalier où l'étreinte se dénoua jadis par une fuite éperdue, la route de passion douloureuse balayée par le vent d'où vient et par où s'en va le drame, constituent des morceaux de photogénie remarquables. » (L. Moussinac, 1922)
Drames de cinéma, Éditions du Monde Nouveau, 1923, contient quatre scénarios de Louis Delluc : La Fête espagnole réalisé par Germaine Dulac, Le Silence, Fièvre et La Femme de nulle part réalisés par Delluc.
En 1993, à la demande de la Cinémathèque Royale de Bruxelles et des Giornate del Cinema Muto à Pordenone en Italie, Wim Mertens composa une musique d'accompagnement (album Epic that never was). Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Femme_de_nulle_part
Femmes (The Women) [1939 - États-Unis, 143 min. N&B + 1 séquence en C (le défilé de mode)] R. George Cukor. Sc. Anita Loos et Jane Murfin, d'après la pièce de Clare Boothe Luce, The Women (1936). Ph. Oliver T. Marsh, Joseph Ruttenberg. Mus. Edward Ward et David Snell. Mont. Robert Kern. Dir. art. Cedric Gibbons. Cost. Adrian. Pr. MGM (Hunt Stromberg). I. Norma Shearer (Mrs. Mary Stephen Haines, la Biche), Joan Crawford (Crystal Allen, la Panthère), Rosalind Russell (Mrs. Sylvie Howard Fowler, la Chatte), Mary Boland (comtesse Flora DeLave, la Guenon), Paulette Goddard (Miriam Aarons, la Renarde), Joan Fontaine (Mrs. Peggy John Day, la Brebis), Virginia Weidler (Little Mary), Hedda Hopper (Dolly de Peyster), Marjorie Main (Lucy, la Jument), Lucile Watson (Mrs. Moorehead, la Chouette), Phillys Povah (Mrs. Edith Philip Potter, la Vache), Dennie Moore (Olga, la manucure), Cora Whiterspoon (Mrs. Van Adams), Virginia Grey (Pat), Ruth Hussey (Miss Watts).
~ New York. Mary Haines (N. Shearer), une jeune femme heureuse et rayonnante, mère d'une fillette, découvre, après dix années de mariage, que son conjoint lui fait porter des cornes. C'est Olga (D. Moore), une manucure insidieusement recommandée par une « amie », Sylvie Fowler (R. Russell), qui lui en fait la révélation. La maman de Mary lui conseille de fermer les yeux. Elle l'emmène d'ailleurs aux Bermudes afin de « décompresser ». Revenue à New York, Mary Haines, assiste à un défilé de mode. Elle y « rencontre » sa rivale, une « banale » vendeuse en parfumerie nommée Crystal Allen (Crawford). Celle-ci vient d'acheter un assortiment de robes luxueuses, entièrement épongées par son amant, en l'occurrence Monsieur Haines. Mary, au préalable soigneusement échauffée par l'« amie » Sylvie, ne peut donc éviter le « crêpage de chignon » classique avec Crystal. Laquelle ne s'en laisse guère compter, affichant, aux yeux du monde, un culot incroyable. Les déboires conjugaux de Mary garnissent, à présent, les colonnes de la presse à sensations... Contre l'avis de sa maman, Mary enclenche une procédure de divorce. Dans le compartiment de train qui l'amène à Reno (Nevada) en compagnie de la jeune Peggy (J. Fontaine), une autre « infortunée » qui s'est brouillée avec son « légitime », Mary rencontre une vénérable comtesse (M. Boland) qui en est à son énième divorce et la jolie Miriam (P. Goddard) qui, elle, n'en est qu'à son premier divorce...
Issu d'une pièce à succès de Clare Boothe Luce (1903-1987), ancienne rédactrice en chef de Vanity Fair et épouse de Henry Luce, créateur des magazines Time, Life et Fortune. The Women comportait une distribution entièrement féminine. Le film ne relève pas, loin s'en faut, de la catégorie des œuvres dites féministes. Belle et brillante, Mme Boothe Luce avait abandonné très tôt la cause féministe. Elle apparaissait, aux yeux de certaines, comme une vivante contradiction : femme libre et émancipée, portant « le pantalon plutôt que le jupon », elle ne croyait pas que la femme fût en mesure de diriger le monde. Aussi, doit-on voir son œuvre comme une critique de la femme bourgeoise telle qu'elle est, avec une once de méchanceté souvent, tout en étant le reflet, également, de sa volonté légitime d'émancipation. Le producteur Hunt Stromberg, qui travailla entre 1925 et 1942 pour la MGM, fit appel à George Cukor pour l'adapter à l'écran. Deux femmes participèrent à l'élaboration du scénario : Anita Loos (1888-1981), une des meilleures scénaristes américaines de sa génération et l'autrice du roman Les Hommes préfèrent les blondes (1925), adapté plus tard par Howard Hawks au cinéma ; Jane Murfin (1884-1955), la scénariste-maison qui avait travaillé avec Cukor sur What Price Hollywood ? (1932) avec Constance Bennett. Le casting du film prévoyait plus de 130 femmes et l'on voulait aussi mettre en confrontation de nombreuses vedettes hollywoodiennes. À juste raison, Stromberg considéra que Cukor, le réalisateur de Little Women (1933) et de Sylvia Scarlett (1935), fut le seul à pouvoir gérer d'éventuelles frictions entre stars. Il est vrai qu'en certains cas, quelques-unes nourrissaient à l'égard de leurs « consœurs » moult rancœurs. Ainsi de Joan Crawford, la Panthère, et de Norma Shearer (1902-1983), la Biche, qui interprétait le rôle de Mary Haines à l'écran. Celle-ci avait été l'épouse du Wonder Boy Irving Thalberg (1899-1936), l'adjoint de Louis B. Mayer à la tête de la MGM. Et Joan ne cessait de lui reprocher d'avoir profité de ce statut privilégié pour arracher les plus beaux rôles à la MGM. À vrai dire, l'homme beau et richissime dont toutes les femmes rêvent avait une santé fragile. Il mourut précocement à l'âge de 37 ans. Sa veuve en fut tellement affectée qu'elle voulut quitter le monde du cinéma. On lui proposa plus tard le rôle de la Scarlett O'Hara d'Autant en emporte le vent. Sous la pression de ses adulateurs, Norma refusa ce rôle. Eux, la trouvèrent trop délicate pour incarner un tel personnage. Nous, nous dirons qu'elle n'avait pas le tempérament nécessaire pour être la Scarlett O'Hara de Margaret Mitchell. Son dernier grand rôle fut donc celui de Femmes dirigé par Cukor. L'animosité récurrente de Joan Crawford pour Norma Shearer alimentera forcément le film, lui conférant un surcroît de vérité.
Norma Shearer incarne dans The Women une femme très éprise de son mari, mais blessée dans son honneur. Son sentiment d'humiliation paraît, a priori, le plus fort. Elle s'embarque donc vers Reno, où la législation de l'État du Nevada, très libérale en matière de mœurs, lui permettra de consommer bien plus vite son divorce. La réputation de Reno n'est plus à faire aux États-Unis. Ajouté à cela, le Nevada avait aussi des conditions de résidence extrêmement indulgentes : il suffisait d'y résider six semaines pour pouvoir bénéficier de tous les droits de ses habitants. Mary ne peut donc être seule. Elle se retrouve dans un ranch en compagnie d'autres femmes souhaitant divorcer d'avec leur conjoint. Au passage, signalons le film muet, Reno, la ville du divorce (1923) de Rupert Hugues. Là encore, il s'agit pour Cukor, d'un argument pour radiographier un aspect du microcosme féminin. The Women est en effet la radiographie d'un univers fermé, régi par des codes et des comportements inaudibles à la gent masculine. Si George Cukor et ses scénaristes usent de la métaphore animale, c'est avant tout, pour comparer la société des femmes - celles de la bourgeoisie ou plus exactement les mondaines - à une jungle particulière - : l'analogie parcourt tout autant le rythme des dialogues, d'une vivacité peu ordinaire, les exclamations et les cris des femmes. « Sans obligation professionnelle, évoluant dans les hautes sphères de la société new-yorkaise, elles mènent une vie d’oisiveté, leur existence tournant exclusivement autour des médisances et des commérages qu’elles échangent les unes sur les autres », écrit un commentateur à propos des Femmes de George Cukor. De ce point de vue, Sylvie Fowler constitue une sorte de modèle. Et l'on peut affirmer, sans risque d'erreur, que Rosalind Russell y excelle. Archétype de la femme snob et richement entretenue, elle passe le plus clair de son temps à colporter des ragots propres à déchaîner les colères et les passions. Sans elle, le film perdrait une large part de sa valeur humoristique. Toutefois, lorsqu'elle-même se retrouve dans le rôle de la victime, elle se révèle impitoyable et sa furie n'a point de limites : lorsque Miriam, la Renarde (Paulette Goddard), lui emprunte son mari, elle lui mord le mollet à l'issue d'une bagarre inoubliable.
Fondamentalement, ces femmes n'existent, socialement parlant, que par les hommes qu'elles ont épousés. Car, si les hommes sont absents à l'écran, ils demeurent au centre des conversations entre femmes. Ils sont les protagonistes incontournables des intrigues féminines. Le huis clos féminin a ceci de particulier qu'il est dévoilement des stratégies féminines d'adaptation au système patriarcal. L'idée de « portes fermées » entre femmes se retrouve chez Michelangelo Antonioni - Le amiche/Femmes entre elles, 1955 - ou Ingmar Bergman - Cris et Chuchotements, 1972 -, ou Pedro Almodovar, mais il nous semble que Steaming (1985), le dernier Joseph Losey, comme le film de George Cukor, constitue le film le plus radical de ce point de vue-là. Bien évidemment, les femmes de Losey ne sont plus celles de Cukor : quarante-cinq ans les séparent. Cette communauté des « femmes entre elles » est le reflet des différents communautarismes que la société bourgeoise ne cesse jamais d'engendrer objectivement. Aussi, le film de Cukor - même si son épilogue demeure conventionnel, happy end oblige - apparaît bien plus comme un reflet que comme une vision profondément critique. «Rien de plus grotesque, écrivait Karl Marx, que l'horreur ultra-morale qu'inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes chez les communistes.» Laissons de côté le terme communiste, essayons uniquement de saisir l'essence de la réflexion du philosophe allemand : les représentants de la bourgeoisie masculine se gaussent des féministes qui veulent organiser les femmes de toutes conditions afin qu'elles se libèrent de la tutelle machiste. À cet instant-là, ils évoquent la société des femmes. Alors, précisément, qu'en marginalisant et en infantilisant les femmes, il n'ont fait, tout au long de l'histoire, que maintenir la femme dans le carcan du communautarisme féminin. Lequel tenait les femmes hors des strates de décision économique, sociale et politique. Quoi qu'il en soit, d'un strict point de vie artistique, The Women dirigé par George Cukor constitue un réel exploit : d'un univers convenu et strict, il parvient à en détacher des récits et des croquis vivants, jamais ennuyants - une gamme de portraits féminins -, dans un style teinté d'élégance et de mordante ironie. « The Women, sociologiquement en avance par rapport à l'Europe, se situe à une époque où la femme commence à conquérir son indépendance et doit abandonner les vieilles recettes du passé sans savoir au juste par quoi les remplacer. À cet égard, le film correspond à une étape importante dans cette longue étude sur les comportements féminins menée par George Cukor avec minutie et splendeur pendant cinquante ans de carrière. » (J. Lourcelles, op. cité).
Remake musical sous le titre The Opposite Sex (1956, David Miller), avec June Allyson, Dolores Gray, Joan Collins et Ann Sheridan. Des hommes apparaissent néanmoins à l'écran.
Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervíos) [1988 - Espagne, 88 min. C] R. Sc. Pedro Almodóvar, librement inspiré de La Voix humaine de Jean Cocteau. Ph. José Luis Alcaine. Mont. José Salcedo. Mus. Bernardo Bonezzi. Déc. Félix Murcia. Cost. José María de Cossío. Pr. El Deseo, Laurenfilm. I. Carmen Maura (Pepa), Antonio Banderas (Carlos, le fils de Lucía et Ivan), Julieta Serrano (l'ex-d'Ivan), María Barranco (Candela, mannequin et amie de Pepa), Rossy de Palma (Marisa), Guillermo Montesinos (le chauffeur du Mambo Taxi), Kiti Manver (Paulina Morales, l'avocate féministe, nouvelle maîtresse d'Ivan), Fernando Guillén (Ivan), Chus Lampreave (la concierge). Meilleur scénario original à la Mostra de Venise 1988. 5 Goya 1989.
~ Pepa et Ivan, un couple d'acteurs de doublage, se séparent ; peu après, Pepa découvre qu'elle est enceinte. Elle veut le dire à Ivan, mais en est empêchée par l'irruption d'une amie, de l'ex-femme d'Ivan et de son fils.
Femmes au bord de la crise de nerfs est le premier succès international de Pedro Almodóvar et son septième LM. Sa participation à de nombreux festivals et sa nomination aux Oscars lui donnèrent la reconnaissance nécessaire pour déployer son artillerie médiatique. Mais, paradoxalement, le tournage causa une totale mésentente entre le réalisateur et son actrice-fétiche, Carmen Maura qui ne le retrouvera que, dix-huit ans plus tard, avec Volver (2006). Inversement, Rossy de Palma, qui avait commencé sa carrière cinématographique l'année précédente avec un rôle secondaire dans La Loi du désir du même Almodóvar, obtient dans ce film un rôle plus important, lequel instaure le début d'une collaboration régulière entre l'actrice et le cinéaste. Du point de vue artistique, c'est un film-charnière dans la progression du réalisateur vers la maturité. Derrière lui, les divertissements impertinents de la movida madrilène et les comédies de mœurs. Le film venait confirmer ce que l'on subodorait déjà dans Matador (1986) et La loi du désir. Almodóvar avait trouvé son propre langage. Cette nouvelle forme d'expression stylisait son univers grotesque et puisait dans le cinéma lui-même la matière première pour construire ses histoires. Le cinéaste n'abandonnera jamais l'essence typique de ses personnages, leurs tics ou leurs expressions. Durant toute sa carrière, il restera fasciné par les romans-photos, les talk-shows, la publicité ou la chanson populaire, mais la culture pop la plus pittoresque se partage toujours l'affiche aves ses goûts littéraires et cinématographiques les plus sophistiqués. Femmes au bord de la crise de nerfs est conçu comme une libre adaptation de la pièce de Cocteau créée en 1930, La Voix humaine. Une œuvre déchirante dont il tire son idée de base : un homme qui fuit, une femme blessée et une valise. Le réalisateur décrit son film ainsi : « Un univers féminin où tout paraît idyllique et merveilleux, dans une cité où tout va bien, où tout le monde est aimable, un monde à la mesure de l'humanité. Le seul problème qui s'éternise dans ce «paradis terrestre», c'est que les hommes continuent à abandonner les femmes. » [P. Almodóvar, Conversations, Frédéric Strauss, Cahiers du cinéma] Sur cette idée-là, le récit commence à s'emmêler, se peuplant de personnages excentriques et accélérant ses va-et-vient en un crescendo grotesque qui débouche sur le vaudeville. « L'on se trouve, écrit José Tirado Muñoz, ainsi face au pilier fondamental du cinéma almodovarien, le mélodrame. Qu'ils soient empreints d'une esthétique camp ou d'une peinture de mœurs ou d'homophilie, ce sont tous, au fond, de grands mélodrames. » [Le Cinéma espagnol, Gremese, 2011] Des mélodrames qui bénéficient d'un décor extravagant : la terrasse de Pepa en particulier. Femmes au bord de la crise de nerfs offre un récital d'instants de légèreté, de détresse amoureuse, de rythme endiablé et d'humour à répétition digne de la screwball comedy - l'incroyable gaspacho aux barbituriques ! « Almodóvar : la façon branchée de reparler de l'incommunicabilité, thème qu'on eût dit poussiéreux depuis les années soixante. Cukor ou Lubitsch revus par un enfant de Woody Allen et d'Antonioni... Il y a des références pires », nous dit Paul Louis Thirard. [Positif, n° 335, janvier 1989]
Le tournage se déroule en 1987 à Madrid, en partie dans les studios de Barajas. L'appartement de Pepa est situé dans l'histoire au septième étage du no 7 de la rue Montalbán, et celui de Lucía au 38 de la rue Almagro. Depuis son balcon, Pepa a une vue sur la Gran Vía et l'édifice Telefónica.
Festin de Babette (Le) (Babette Gaestebud) [1987 - Danemark, 102 min. C] R. Sc. Gabriel Axel, d'après Le Dîner de Babette, conte de Karen Blixen (1958). Ph. Henning Kristiansen. Mus. Per Nørgård. Mont. Finn Henriksen. Cost. Karl Lagerfeld pour Stéphane Audran. Prod. Just Betzer, Bo Christensen / Panorama Film Int., Nordisk Film. I. Stéphane Audran (Babette Hersant), Bodil Kjer (Filippa), Birgitte Federspiel (Martine), Jarl Kulle (le capitaine Lorens Löwenhielm), Jean-Philippe Lafont (Achille Papin), Ghita Nørby (la narratrice), Bibi Andersson, Lisbeth Movin. Oscar du meilleur film en langue étrangère 1988.
~ Fuyant la répression du général Galliffet contre la Commune de Paris en 1871, Babette Hersant (S. Audran) devient servante auprès de deux sœurs danoises, Martine et Filippa, issues de la communauté luthérienne du Jutland. Babette a gardé, pour unique lien avec la France, un billet de loterie qu'une amie lui achète chaque année. Après quinze années de bons et loyaux offices, Babette reçoit une lettre : elle vient de gagner à la loterie 10 000 francs. Elle se promet alors de préparer un grand repas « à la française » pour célébrer le centenaire du défunt pasteur, le père des deux sœurs. Il y aura douze convives, dont un invité de passage, Lorens (Kulle), devenu général...
Le réalisateur danois Gabriel Axel (1918-2014) , natif de Århus, ville portuaire du Jutland, a passé l'essentiel de son enfance dans notre pays. Il a même joué dans la troupe de Louis Jouvet, entre 1945 et 1950. Revenu au Danemark, il travaille régulièrement pour la télévision et réalise, en particulier, des adaptations de la littérature française, notamment le Curé de Tours de Balzac (1980) avec Jean Carmet, Suzanne Flon et Michel Bouquet. Sa première fiction à l'écran date de 1955. Sa production se chiffre à plus d'une vingtaine de LM, souvent et malheureusement inconnus en France. On note, quand même, en 1962 une transposition de la célèbre pièce de théâtre écrite par Claude Magnier, Oscar. Cette comédie de boulevard, créée en 1956 dans une mise en scène de Claude Barma, fut reprise, comme on le sait et, avec un succès considérable, par Louis de Funès, au théâtre à deux reprises, puis à l'écran. Cette proximité récurrente de Gabriel Axel avec la France se confirme l'année suivante avec l'adaptation des Ingénus, une nouvelle de Félicien Marceau (1913-2012), qui est distribué sous le titre Trois de perdues ou Trois filles à Paris. Aux côtés de Daniel Gélin, évoluent trois Danoises, Hanne, Lotte et Dorthe, lâchées en liberté à Paris. Gabriel Axel y joue le rôle d'un professeur de français, c'est dire. Aussi, nous faut-il constater qu'avec Le Festin de Babette, l'héroïne est cette fois-ci une Française en exil au Danemark. Outre le fait que le ton n'est plus celui d'une comédie. Plus austère et plus grave, le film n'est pas forcément pessimiste, bien au contraire. Karen Blixen avait situé son récit dans un petit village de Norvège. Gabriel Axel le replace dans sa région d'origine. Il demeure pourtant fidèle à l'écrivaine, et à l'esprit du conte. Babette ne dévoilera son identité véritable qu'à l'issue du mémorable repas, c'est-à-dire quinze ans après s'être dévouée sans hiatus au domicile des deux sœurs. Jadis, en effet, elle fut chef cuisinière au prestigieux Café Français à Paris. Qu'est-ce qui a pu provoquer son déracinement ? Tout comme l'œuvre de Karen Blixen, le film de Gabriel Axel offre une « polyvalence de significations » (J. Lourcelles). En lui-même, le festin concocté par Babette est un acte moral : plutôt que de choisir le retour vers son pays d'origine, Babette (Stéphane Audran) opte pour un acte qui, aux yeux de certains, peut apparaître comme un sacrifice, alors qu'il est surtout un geste de profonde humilité et d'infinie reconnaissance. En deuxième lieu, il est aussi, et peut-être au-dessus de tout, un acte artistique et créatif. Babette énonce bien la morale de cette histoire : « Je suis une artiste, et une artiste n'est jamais pauvre. » En ceci, et compte tenu de ce que nous devinons de son passé, Babette reste fidèle à elle-même. Cette grandeur lui permet de transcender le monde qui l'entoure. Ainsi, sont réconciliés la chair et l'esprit. Dieu a créé le génie non pour qu'il soit entravé mais pour qu'il s'épanche et témoigne. Dès lors, l'acte esthétique, en tant qu'acte d'affirmation de soi, est aussi épopée généreuse, don de soi. Il devient acte libérateur. L'humanité se reconnaît en lui. Le Festin de Babette « fait partie de ces films qui sont uniques parce qu'ils contiennent quelque chose d'unique, le plus beau repas montré à l'écran ». (J. Lourcelles) Ce repas auquel il nous est donné d'assister, les yeux miroitants et la bouche alléchée, de sa préparation jusqu'à sa dégustation. Et la maîtresse de cérémonie, une Stéphane Audran métamorphosée, livre ici ce qui sera sa plus belle incarnation à l'écran. Le public ne s'y est pas trompé qui a reconnu d'emblée Le Festin de Babette et n'a jamais cessé de lui exprimer sa fidélité.
Le menu et les plats sont décrits dans la nouvelle de Karen Blixen, mais sans préciser ni la préparation ni les temps de cuisson. Pour le tournage, la préparation en a été confiée à Jan Cocotte-Pedersen, chef de cuisine du restaurant La Cocotte, à Copenhague. Les recettes ont été publiées par la suite, et plusieurs plats sont devenus des classiques internationaux. Parmi ceux-ci, une soupe de tortue géante ou un Blinis Demidoff au caviar et à la crème. Côté boissons, un Xérès amontillado, un champagne Veuve Clicquot 1880 et un vin rouge Clos de Vougeot 1845.
Fête Espagnole (La) [1920 - France, 67 min. N&B, Muet] R. Germaine Dulac. Sc. Louis Delluc. Ph. Paul Parguel, G. Raulet. Prod. Louis Nalpas / Serge Sandberg. I. Ève Francis (Soledad), Gaston Modot (Réal), Jean Toulout (Miguelan), Robert Delsol (Juanito), Paguien, la vieille folle (Anna Gay).
~ Soledad, une ancienne danseuse, observe, sans se prononcer, la passion que lui portent deux amis rivaux en amour : Réal, un riche propriétaire foncier et Miguelan, un patron d'usine. Un jeune homme, Juanito, l'emmène à la fête populaire. Ils dansent, sont heureux. Ailleurs, Réal et Miguelan s'entretuent. C'est finalement avec Juanito que s'unira Soledad.
Les mérites de Germaine Dulac (1882-1942) sont grands et méritent d'être rappelés. Ses films - plus d'une trentaine, courts, moyens et longs métrages confondus - manifestent une réelle intuition de ce que l'art cinématographique porte en lui en tant qu'art spécifique et autonome. Elle laissera, sur ce sujet, des écrits pénétrants. Selon Charles Ford, « les textes de Germaine Dulac constituent à la fois un témoignage précieux d'une époque où le cinéma prenait conscience de lui-même et une pensée ardente au service d'un art qu'elle souhaitait paré de toutes les vertus spirituelles et de tous les sortilèges artistiques ». [Anthologie du cinéma, n° 31, janvier 1968] On y reviendra à propos de La Souriante Madame Beudet (1923), un moyen métrage de 40 minutes, considéré comme le premier film féministe de l'histoire du cinématographe. La Fête espagnole se voulait, à priori, dans l'esprit de Louis Delluc, le véritable initiateur, un manifeste avant-gardiste proposant une nouvelle écriture cinématographique. Retenu à Aurillac, à cause d'impératifs militaires, le cinéaste laisse la place à Germaine Dulac. Il semblerait que la production ait largement amoindri l'image d'une Espagne « violente et contrastée » (Maurice Barrès) voulue initialement et que l'on retrouve dans les lignes du scénario. L'œuvre sera, par ailleurs, tourné, à l'été 1919, dans l'arrière-pays niçois à la villa Liserb, plutôt qu'en Andalousie. Mais il est difficile de porter un jugement définitif à présent puisqu'il n'en reste que des fragments conservés par la Cinémathèque française [Restauration 4K réalisée en 2020 avec le concours du CNC ayant abouti à une version de 26 minutes : https://www.cinematheque.fr/henri/film/48275-la-fete-espagnole-germaine-dulac-1920/ Sorti le 30 avril 1920, le film de Dulac suscite l'enthousiasme d'une partie de la presse, mais aussi les regrets de ceux qui ont connu le texte original. Delluc lui-même, qui décide après cette expérience de réaliser ses propres scénarios, ne cache pas sa frustration esthétique devant ce film qui était, selon lui, « une jolie intention pittoresque ». « Elle resta en somme à l'état d'intention, malgré la bonne volonté des exécutants. On en a copieusement parlé. Alors c'est que l'intention en valait la peine. Rien de plus. On recommencera. » [Marién Gómez Rodríguez, Cinémathèque française] Sadoul juge que le meilleur du film se trouverait dans la « fête espagnole » proprement dite. Moussinac écrivit quant à lui : « On n'a jamais rien écrit chez nous de plus photogénique que ce conte de sang, de volupté et de mort. Mais le metteur en scène, Mme Dulac ne semble pas avoir résolu cet impressionnisme d'images avec la maîtrise qu'il commandait. La réalisation est manifestement au-dessous de la vision originale. » Henri Fescourt, l'auteur de la seconde adaptation muette des Misérables de Victor Hugo, se plaignait que, dans cette Fête Espagnole, il y manquât « quelque chose de torride et aussi de grisant et de turbulent. »
Fiancée du pirate (La) [1969 - France, 108 min. C] R. Sc. Nelly Kaplan. Sc. et adapt. Claude Makovski, Jacques Serguine, Michel Fabre. Ph. Jean Badal. Mus. Georges Moustaki (chanson Moi, je me balance interprétée par Barbara). Son. Jacques Lebreton, Claude Jauvert. Mont. Noëlle Boisson, N. Kaplan. Pr. C. Makovski, Moshé Mizrahi / Cythère Films. I. Bernadette Lafont (Marie), Georges Géret (Gaston Duvalier), Michel Constantin (André, le projectionniste), Julien Guiomar (Le Duc), Jean Parédès (le pharmacien), Pascal Mazzotti (l'abbé Dard), Marcel Pérès (le grand-père grabataire), Francis Lax (Émile), Claire Maurier (Irène, la fermière), Micha Bayard (Mélanie, "La Goulette"), Louis Malle (Jésus, l'ouvrier agricole espagnol).
~ Dans une commune cafardeuse nommée Tellier, Marie (B. Lafont) vit misérablement avec sa mère. Un jour, cette dernière se fait écraser par un chauffard. Après avoir transporté son cadavre dans la pitoyable masure où vivent les deux femmes, les notables du village - l'adjoint Le Duc, le garde-champêtre Duvalier et le pharmacien - s'arrangent afin que l'accident soit enregistré comme une « mort naturelle ». Ils craignent trop en effet qu'une enquête de la gendarmerie révèle les conditions scandaleuses dans lesquelles les deux femmes sont maintenues. Contre toute attente, Marie échafaude une vengeance toute particulière...
Née à Buenos Aires d'une famille juive ayant fui, à la fin du XIXe siècle, les pogroms de la Russie tsariste, Nelly Kaplan (1931-2020) fut une adolescente dissipée. Ses parents - son père, Judah Kaplan, était pharmacien dans le quartier de Palermo -, trop occupés par leur commerce, l'envoyaient dans les salles obscures pour « avoir la paix ». Ainsi germa l'une des passions de Nelly Kaplan : le cinéma. L'autre, plus intense sans doute, fut la littérature et, en particulier, la poésie française. Elle débarque donc en 1953 à Paris, munie de nombreuses accréditations de presse et d'une lettre d'introduction du directeur de la Cinémathèque argentine auprès d'Henri Langlois, le directeur de la Cinémathèque française, sise à l'époque et jusqu'en 1955, au 7, avenue de Messine dans le 8e arrondissement. Les portes des projections lui sont, dès lors, grandes ouvertes. Mais elle est aussi correspondante auprès des revues et journaux argentins. Sa passion et sa curiosité pour tout ce qui bouge dans le monde des arts et de la création seront, en conséquence, copieusement étanchées. Dès l'année suivante, Langlois la présente à Abel Gance. Elle en devient l'assistante et aura un rôle mineur dans La Tour de Nesle. Elle reste à ses côtés pour Magirama (une suite de courts métrages) en 1956 et sur le tournage d'Austerlitz (1960). Côté littérature, elle se lie avec Théodore Fraenkel, un surréaliste proche d'André Breton, et avec lequel elle partage de nombreuses choses en commun. Deux ans plus tard, elle rencontre, « par le plus grand des hasards » , André Breton lui-même au musée des Arts décoratifs. C'est le début d'une « éblouissante amitié amoureuse », dira-t-elle. [In : Figaro, 24 avril 1991]. Elle commence à publier chez Éric Losfeld, à la fin des années 1950, des plaquettes audacieuses au tirage limité, sous le pseudonyme de Belen. Auprès d'Abel Gance, elle s'intéresse à la polyvision et apprend le montage. Elle écrit également sur le cinéma et fait partie du comité de sélection de la Semaine de la critique à Cannes entre 1962 et 1968. Elle va réaliser des courts métrages à partir de 1961 : entre autres, sur le peintre Gustave Moreau, sur les dessins érotiques d'André Masson - le film restera longtemps censuré -, sur Abel Gance et enfin un moyen métrage, Le Regard Picasso (52 min., 1967) qui filme tous les tableaux du maître lors de l'exposition donnée au Petit Palais [avenue Winston-Churchill, Paris 8e] au moment de ses 85 ans. Ce documentaire lui vaut un Lion d'or au festival de Venise et l'amitié du peintre, enchanté par cette réalisation. Comme La Fiancée du pirate, Le Regard Picasso est produit par la société Cythère Films que Claude Makovski (1936-2020) crée avec elle en 1964. En septembre 1968, Makovski écrit un synopsis appelé La Fille d'amour et qui, réalisé par Nelly Kaplan, deviendra La Fiancée du pirate. Il souhaite que le rôle principal soit dévolu à Bernadette Lafont. Film libertaire à l'esprit gaillardement amoral, film de femme sûrement, La Fiancée du pirate reste l'œuvre de fiction qui rend le mieux justice à Nelly Kaplan d'abord, mais aussi à l'actrice Nouvelle Vague Bernadette Lafont qui débuta sa carrière avec Les Mistons (François Truffaut) et Le Beau Serge (C. Chabrol) en 1957. « Marie, c'est Bernadette Lafont. En fille insoumise, en vamp pétroleuse, en Antigone de la bouse de vache, elle est du tonnerre de Belzébuth. Quel œil ! Ça pétille jusque dans les coins, et quel sourire ! Réservoir des sens et championne du mauvais esprit, elle ravage tous les plans. […] La Fiancée du pirate est un des très rares films français vraiment satirique, vraiment drôle », écrira Jean-Louis Bory [Le Nouvel Observateur, 8 décembre 1969]. De ce point de vue, la réussite de Nelly Kaplan est à souligner : elle fait un film populaire voire champêtre et un film mutin tout à la fois. « J'ai senti mon film comme un hommage au cinéma, et j'ai voulu que celui-ci joue un rôle capital dans l'histoire », affirmait la réalisatrice. L'aventure amoureuse de Marie avec André (M. Constantin), le projectionniste, est de cet ordre. En effet, c'est au cinéma d'un Luis Buñuel auquel nous songeons. Ce cinéma qui ne cessait de griffer un ordre social injuste et une morale profondément hypocrite. Et qui, par contraste, formulait hardiment une poésie, tendre et spontanée, des sens et des sentiments. La Fiancée du pirate ? « Une comédie jubilatoire aux confins du surréalisme ». [C. B.M. in : Guide des films, op. cité]. Hélas, dans une filmographie plutôt brève - six LM de fiction entre 1969 et 1991 -, Nelly Kaplan ne retrouvera pas la grâce de ce premier essai.
« Tellier », village où est censé se dérouler l'action, n'existe pas : en réalité, le film a été tourné à Hérouville-en-Vexin (Val-d'Oise), en partie dans le château appartenant à Michel Magne. Le nom de Tellier est une allusion à La Maison Tellier, nouvelle de Guy de Maupassant.