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Villégiature (La) (La villeggiatura) [1973 - Italie, 110 min. N&B] R. Marco Leto Sc. M. Leto, Lino del Fra, Cecilia Mangini. Ph. Volfgango Alfi. Dir. art. Marco Lippi. Mont. Fabrizio Giaccobini. Mus. Verdi et Egisto Macchi. Pr. Natascia Film|Enzo Giulioli. I. Adalberto Maria Merli (le professeur Franco Rossini), Adolfo Celi (commissaire Rizzutto), John Steiner (un prisonnier politique), Milena Vukotic (Mme Rossini), Gianfranco Barra (le prêtre), Robert Herlitzka (Guasco). Tournage : Île de Ventotene (Lazio), Île Lipari, Rome, Tarquinia. Prix Georges-Sadoul 1973. Nastro d'argento 1974.
~ Franco Rossini (Adalberto Maria Merli) est un jeune professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Florence qui, n’ayant pas prêté allégeance au régime fasciste, est envoyé en exil sur l’île de Lipari, non loin de la Sicile. Libéral, riche et de bonne famille (son père était professeur d’université), il ne parvient à se lier ni avec les habitants de l’île ni avec les autres confinati, presque tous d’origine prolétarienne et d’extrême gauche. Paradoxalement, la personne avec laquelle il semblera à priori plus proche est le commissaire Rizzuto, un homme aux « bonnes manières » qui avait été l'élève de son père. Grâce au traitement courtois que le fonctionnaire lui réserve, Rossini peut louer une villa et faire venir sur l’île sa femme Daria (M. Vukotic) et Caterina, sa petite fille. Tout cela altère encore plus les relations compliquées entre Rossini et les autres antifascistes. De fait, Rizzuto - parlant au nom de l’État fasciste - fait à Rossini une proposition : s’il abandonne un antifascisme actif et militant, il pourra retourner enseigner, sans obligation de prêter serment d’allégeance. Le professeur semble sur le point d’accepter. Mais il découvre que les autorités fascistes ont organisé une fausse bagarre comme prétexte pour tuer un prisonnier communiste, Scagnetti. Indigné, Rossini se range avec les rebelles et s’évade de Lipari avec eux.
Le film est librement inspiré de la vie de l'intellectuel antifasciste Carlo Alberto Rosselli, assassiné avec son frère Nello, en France en juillet 1937. Le titre, de façon ironique, reprend la façon selon laquelle le Duce alias Benito Mussolini évoquait l'exil qu'il imposait à ses opposants. Dans le film, le professeur Rossini écrit à son épouse que « la villégiature est terminée » dès lors qu'il entre dans une opposition ouverte et sans compromis au régime fasciste.
Marco Leto (1931-2016) fut le fils d'un fonctionnaire de police, connu pour avoir été à la tête de l'OVRA, la police politique fasciste, entre 1938 et 1945. Issu de la télévision, il n'a réalisé pour le grand écran que deux LM. Entre lui et Adolfo Celi qui incarne le commissaire, il y a des similarités de destins. Celi fut le fils d'un sénateur fasciste.
Lors de la sortie du film à Paris, en novembre 1973, Marco Leto dira, lors d'un entretien avec Jean Antoine Gili (Écran 73) : « J'avais fait, il y a plusieurs années, une enquête pour la télévision, sur Carlo Rosselli ; de là est né tout un intérêt, toute une documentation abondante. On peut dire qu'il n'y a pas un seul événement dans le film qui ne soit pas authentique. Tout a été réélaboré, mais les détails sont vrais ou tirés de faits réels. [...] Par ailleurs, La villeggiatura ne veut jamais être d'un réalisme naturaliste ; le film tend sans cesse à être symbolique. Le film est métaphorique [...] » Jean A. Gili écrit donc : « [...] au-delà de l'évocation du fascisme dans son époque, le film met à jour les structures profondes d'un système oppressif dont l'auteur suggère la permanence dans l'Italie actuelle : le paternalisme du commissaire (A. Celi) conduit en droite ligne au fascisme sournois qui peu à peu envahit la société contemporaine. Plutôt que de montrer une image insoutenable des prisons fascistes, plutôt que d'insister sur l'aspect totalitaire du régime mis en place par le Duce, Marco Leto nous présente une vision rassurante de l'oppression. [...] Toutefois, avec cette politique du sourire et de l'amabilité, Leto souligne la capacité du pouvoir à se travestir selon les besoins du moment [...] Ainsi, La villeggiatura ne parle pas "d'un" fascisme (l'Italie à la fin des années vingt), mais "du" fascisme comme structure constante du pouvoir dans le système capitaliste ; en somme, le fascisme non comme un accident historique mais comme une dimension incluse dans les régimes dits démocratiques. » [J. A. Gili, Écran 73, n° 20] Marco Leto confirme : « L'ennemi au visage féroce est moins dangereux que l'ennemi au visage sympathique ; hier et aujourd'hui. Dans le film, le chef des fascistes est une espèce de marionnette imbécile ; au contraire, le commissaire est un homme intelligent et donc dangereux. [...] Le fascisme, c'est le capitalisme dans certaines conditions ». [Entretien cité] Déjà brûlant en son temps, La villeggiatura n'a donc pris aucune ride de nos jours.