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Jardin d'été (The Friends) (夏の庭Natsu no niwa) [1994 - Japon, 113 min. C] R. Shinji Sômai. Sc. Yôzô Tanaka, d'après un roman pour adolescents de Kazumi Yumoto (1992). Ph. Noboru Shinoda. Déc. Kyôko Haya. Mont. Yoshiyuki Okuhara. I. Rentarô Mikuni (Kihachi Denpo), Chikage Awashima (Yayoi), Akira Emoto (Nagatomo), Naoki Akata (Atsushi Kiyama), Minori Terada (Taniguchi), Naho Toda (Shizuka Kondo), Shigeru Yazaki (Katsuhiro). 

~ À Kobe, trois écoliers vivent des heures inoubliables à travers l'observation des jours derniers d'un vieil homme (R. Mikuni), vivant seul dans une maison en ruines et un jardin broussailleux... 

Shinji Sômai (1948-2001), treize films en vingt ans, demeure méconnu dans l'hexagone. Au Japon, il fut considéré par les lecteurs de Kinema Junpô comme le cinéaste national le plus valeureux des années 1980. Son deuxième film - inédit en France, comme la plupart des LM de Shinjo Sômai -, Sailor Suit and Machine Gun, une satire du monde des yakuzas, a eu un retentissement public national exceptionnel en 1981, au point qu'il engendra deux séries télévisées et une suite en 2016. Ce film n'est qu'un reflet de la personnalité de son auteur. Longtemps durant, l'unique film distribué en France fut Typhoon Club (1985), sorti à Paris en 1988. Le film racontait l'histoire de collégiennes ignorant l'ordre d'évacuation des établissements scolaires au moment de l'annonce d'un typhon. Lors d'une rétrospective consacrée à l'auteur par la Cinémathèque française [12 décembre au 6 janvier 2013], Mathieu Capel écrivit : « Il n’est pas sûr que dans sa filmographie protéiforme, Typhoon Club puisse véritablement faire figure d’emblème : mais il n’est certainement pas étranger à l’idée d’un Sômai cinéaste de l’adolescence. Sailor Suit and Machine Gun, P. P. Rider, Déménagement, The Friends, d’autres encore : les personnages principaux de sept de ses longs métrages sont effectivement âgés d’une petite dizaine d’années. Mais cet attachement, que signifie-t-il au juste ? Est-il si exclusif qu’il y paraît ? Et si cette enfance souvent douloureuse était aussi celle du cinéma japonais des années quatre-vingts ? Les adolescents de Sômai, ce sont la jeune Izumi de Sailor Suit, dont on fait connaissance la tête en bas, ou la petite Ren de Déménagement, film qui ne commence vraiment qu’au moment où elle fait le poirier : mais ce sont aussi Sensaku, la brute mal dégrossie de Luminous Woman, et même Sawaki, trentenaire toujours ivre dans le magnifique Kazahana. Tout l’art de Sômai repose sur l’assomption première que quelque chose décidément ne tourne pas rond, qu’au cœur du monde s’est ménagée une étrange fissure, un écart à soi à peine perceptible. Dans ces conditions, adolescents, adultes, ingénus, peu importe tant qu’il s’agit de ces maladroits acrobates du quotidien pour qui, semble-t-il, c’est encore sens dessus dessous que le monde se voit le mieux. Il faut toujours être à l’écart, un peu enfant ou un peu ermite pour avoir le premier rôle chez Sômai. » Dix ans donc après Typhoon Club, Sômai met en scène trois collégiens à l'esprit frondeur épiant un vieil ermite mystérieux. Claustré dans une masure délabrée, environnée d'un jardin rongé par les mauvaises herbes, cet homme égrène les heures dernières de son existence. Les trois garçons - un myope, un obèse et un maigrelet - s'efforcent naïvement d'imaginer ce que peut être la mort. Cette mort ou plutôt ce comment meurt-on qui traversait Typhoon déjà et peut-être l'œuvre de Shinji Sômai tout entière. D'où l'usage ou surtout la nécessité vitale du plan-séquence, sa marque de fabrique. Le jardin hérissé est la promesse d'une découverte. Celui qu'on observe dans ses moindres faits et gestes, le vieil homme joué ici par l'une des grandes figures du cinéma nippon, Rentarô Mikuni (Hara-Kiri et Kwaïdan de Masaki Kobayashi entre autres) qui livre une prestation digne de lui. D'où le raccord avec le monde. Les garçons ne savent pas : il y a là un conte réaliste et un récit initiatique tout à la fois. On notera également la présence émouvante, de celle qui sera, dans cette histoire, l'épouse « oubliée », Chikage Awashima, comédienne chez Minoru Shibuya, Yûzô Kawashima, Yasujiro Ozu, Mikio Naruse et tant d'autres. Ce rappel du cinéma japonais d'autrefois, qui est, en même temps, révélation d'une douloureuse histoire d'après-guerre distingue Shinji Sômai. The Friends renommé Jardin d'été, inspiré d'un célèbre roman pour enfants dû à l'écrivaine Kazumi Yumoto, en conserve la fraîcheur et l'innocence, tout en délivrant un message d'une profonde actualité sur les rapports intergénérationnels, plus encore sur la relation indissoluble entre la vie et la mort. Sorti en France début juin 2025, c'est surtout une œuvre d'une poésie singulière, baignée « d'ocres rayons vespéraux diluant le temps de l'enfance » et dans laquelle Shinjii Sômai « ose quelques plans irréels : les gamins perçus dans la lumière depuis le fond d'un puits qui figure comme l'intérieur même d'une caméra [...] ou la lévitation inoubliable d'un petit garçon dans une cabine de téléphérique, sur fond de flamboiement crépusculaire. »  [F. Baumann, Positif, n° 773-774, Juillet-août 2025]