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Explorez l'univers poétique d'Alda Merini, une voix incontournable de la littérature italienne. Découvrez sa vie et son œuvre, une source d'inspiration pour tous.

La poésie d'alda merini : un souffle vital
« Alda Merini est populaire. Ce qui n'est pas un gros mot. Sa poésie appartient à tout le monde, elle est comme l'air qu'on respire. » (Gabriel Dufay)

Une vie entrelacée avec la poésie

Un antidote à la violence du monde
La poésie est déclaration d'amour. Elle est antidote à la violence du monde, à l'altération et la dépravation du langage, à l'oppression et l'asservissement.
Découvrez la beauté des mots
Laissez-vous emporter par la puissance et l'émotion des vers d'Alda Merini, une poétesse qui a su transformer sa vie en art.
|Alda MERINI (1931-2009) : Confusion des étoiles (Confusione di stelle)
Et de cette confusion des étoiles naît le mot amour
Née en 1931 à Milan, Alda Merini commence à écrire de la poésie à l'adolescence et fréquente bientôt les maîtres de son époque, tel Salvatore Quasimodo. Plus tard, à la parution de ses poèmes, elle sera adoubée par les plus grands, parmi lesquels Pier Paolo Pasolini et Eugenio Montale, futur prix Nobel de littérature.
En 1947, une maladie mentale la conduit à une première hospitalisation. Ce trouble qu'elle appelle ombre della mente (« ombre de l'esprit »), la poursuivra tout au long de sa vie. Dans L'Autre Vérité, Journal d'une étrangère, elle raconte son expérience asilaire. Son œuvre témoigne de sa proximité avec les exclus mais aussi d'une joie de vivre et contre tout. En 2004, les hommages se multiplient et des messages appelant à l'aider affluent de toute l'Italie. À sa mort en 2009, des funérailles officielles sont célébrées au Duomo de Milan.
|Extrait des Épiphanies d'Alda Merini de Gabriel Dufay, traducteur.
Quand j'ai découvert Alda Merini, mon sang n'a fait qu'un tour. Il est rare de connaître de tels chocs poétiques. Ce fut d'abord par le biais de ses aphorismes à la lucidité acérée. Puis ce fut par son texte L'Autre Vérité. Journal d'une étrangère, qui commence par cette phrase décisive et saisissante : « Quand on m'interna pour la première fois, j'étais encore une enfant, ou presque. » Ce texte d'une haute intensité, d'une haute sincérité, raconte son expérience dans les hôpitaux psychiatriques et sa relation avec ce qui est appelé communément « folie », car, écrit-elle avec lucidité : « La folie, mes amis, n'existe pas. Elle n'existe que dans les reflets oniriques du sommeil et dans cette peur peur panique que nous avons tous, profondément enracinée en nous, de perdre la raison. »
Une étrangère, c'est donc ainsi qu'Alda Merini se définissait dans ce monde, dans une société normée poursuivant les inadaptés, en un siècle de catastrophes où se sont succédé les guerres et les atrocités. La poétesse italienne le sait : face au langage anémié et institutionnalisé, la force de la parole poétique est salutaire. Ainsi écrit-elle : « Il y a des forêts qui mettent le feu aux mots. »
Après avoir lu ce Journal, j'ai découvert ses poèmes grâce à Alessandra Dominici et ai été frappé par leur extrême musicalité, leur souffle puissant, leur grande justesse. Quand des phrases s'impriment dans la rétine puis dans la mémoire, j'irais même jusqu'à dire dans le corps, c'est le signe, pour moi, qu'on est face à de la grande poésie. Certains vers m'ont littéralement poursuivi, tant ils semblent écrits à l'encre de feu, reflétant l'inquiétude d'une femme habitée par l'abîme mais aussi par la joie d'une langue qui la possède tout entière, d'une parole qui la porte au-delà même de la réalité.
[...]
La poétesse milanaise demeure largement méconnue en France alors qu'elle bénéficie d'une véritable reconnaissance en Italie et qu'elle est même considérée comme une des plus grandes, si ce n'est la plus grande poétesse italienne du siècle passée. [...] Il est grand temps de réparer cette injustice, d'autant que cette œuvre est aussi dédiée aux femmes, témoignant de ce qu'elles ont enduré dans des sociétés extrêmement corsetées et patriarcales, auscultant leur misère, leurs souffrances, mais aussi leur part de dignité et de sainteté (« toutes les femmes sont des adoratrices », écrit-elle au détour d'un poème). Mais ne nous y méprenons pas, il ne s'agit pas pour autant d'une œuvre victimaire, il y a quelque chose d'héroïque et d'érotique, de sensuel dans le geste d'Alda Merini. Viscéralement subversive, elle n'écrit pas pour délivrer un message quelconque mais pour donner corps au mystère d'être en vie. Elle place la poésie plus haut que tout, embrassant ses souffrances pour en faire une œuvre, un feu sacré. Telle une Iphigénie ou une Antigone des temps modernes. Et pourtant, c'est sans doute à Athéna - figure à qui elle consacre un poème - qu'il faudrait la comparer. Déesse de la guerre, de la sagesse, de la pensée, des Armes, mais aussi patronne des artisans et des artistes.
[...] Quid de la folie, pierre angulaire de son œuvre ? La folie est ici à la fois un fardeau, un sacerdoce et un trésor d'où Alda Merini tire le miel de ses épiphanies, comme dans le recueil de poèmes qui fit sa renommée, La Terra Santa. [...] « La folie est l'une des choses les plus sacrées qui existent sur terre », écrit-elle. « C'est un parcours de douleur purificateur, une souffrance comme quintessence de la logique. » Au détour d'un poème de Confusion des étoiles, il nous est d'ailleurs révélé un secret, une clef pour comprendre son geste d'écriture : « La maladie mentale est l'âme de la parole. » Parole poétique et folie ont ici partie liée.
[...]
Pour une raison qui nous échappe encore, la poésie d'Alda Merini n'a pas véritablement franchi les frontières franco-italiennes : une partie de son œuvre est confidentielle quand l'autre reste encore à traduire. Est-ce à dire qu'elle serait intraduisible ?
Certains poèmes manifestent, il est vrai, une certaine opacité et se présentent au lecteur comme des mystères. Il faut avoir l'esprit poétique pour traduire Merini, et peut-être a-t-il manqué des relais pour mener à bien ce passage d'une langue à l'autre. Le son est ici au moins aussi important que le sens, car la poétesse milanaise est une sorte d'alchimiste qui donne des habits nouveaux aux mots, les fait reluire en pratiquant des associations étranges et inattendues. Les métaphores et les allégories sont ici reines, et c'est ce qui fait la force, la puissance de cette œuvre. Certains poèmes sont ainsi pour le moins obscurs, ou du moins sujets à l'interprétation. Mais c'est précisément ce qui est passionnant.
[...]
Traduire Alda Merini, dans le fond, est presque impossible. « Mais comment rejoindre l'impossible, si ce n'est précisément à travers l'impossible ? ». [Cristina Campo, Les Impardonnables, L'Arpenteur, 1992] Cette question s'adapte tout aussi bien à la quête d'Alda Merini qu'à sa traduction. Le plus important étant le monde d'Alda, son inconscient qui a sa propre langue, ses mots étant comme des fenêtres et des leviers face à la langue normée et institutionnalisée.
[...]
Gabriel DUFAY.
Alda Merini
Io fui Alda Merini ma non so dirvi nulla
se non che tre elementi come nell'universo
giocarono dentro la mia parola:
l'aria, il fuoco e la terra.
(Canzoniere di Sylvia, 1986. À Oreste Macri)
Je fus Alda Merini mais je ne sais que vous dire/sinon que trois éléments jouèrent/dans ma parole comme dans l'univers:/l'air, le feu et la terre.
[...]
Amor che mise
Amor che mise sopra il mio destino
quella tua aria vigorosa e piena
cambiò di un colpo tutto il mio cammino,
mi fece di te schiava e poi serena,
quando portarti ciò che tu comandi
renda una donna simile a regina,
amor che prese me sí mi incammina
dove il tuo cielo ratto raccomandi.
Amour qui a porté
Amour qui a porté sur mon destin/cet air vigoureux et puissant qui est le tien,/a soudain bouleversé ce chemin qui est le mien,/il a fait de moi ton esclave sereine,/quand t’apporter ce que tu commandes/transforme une femme en reine,/l’amour qui m’a pris m’emmène/là où ton ciel rapidement le demande.
Poème écrit en hendécasyllabes, comme La Divine Comédie de Dante. Allusion directe au chant V de L’Enfer, vers 100|102, « Amour qui s’apprend vite au noble cœur, »
La maladie
A.D. Vanni
Anche la malattia mentale è presente,
oscuro vaniloquio di metallo,
anche la malattia mentale « ti ama »
lei ha un voluminoso corpo di amore
eppure è ridondante...
Anche la malattia mentale patisce
della tua tenera discendenza,
ti stende immobile sopra un letto,
ti sussura parole lente
(è vano l discolparsi),
lei è la protagonista del tuo sangue,
la malattia mentale è l’Arcata Maggiore
e l’Archita divino impervio,
è l’anima della parola.
Ainsi la maladie mentale est présente,/obscur verbiage de métal,/ ainsi la maladie mentale « t’aime »,/elle a un corps volumineux d’amour/et pourtant elle est redondante.../Ainsi la maladie mentale souffre/de ta tendre progéniture,/elle te maintient immobile sur un lit,/elle te murmure de lentes paroles/(il est vain de se disculper)/elle est la protagoniste de ton sang,/la maladie mentale est l’Arche majeure/et l’impénétrable Archytas divin,/elle est l’âme de la parole.
(Il libro di Cosimo)
Archytas de Tarente, philosophe pythagoricien, mathématicien, astronome, homme politique, stratège et général grec du Ve siècle avant J.C.
Cantica di amore
Io ti amo nelle cose semplici e pure,
in tutto ciò ce è elementare e sacro,
nelle acque vergini, nelle polle sublimi,
ti amo nella madre terra,
e nel mio grembo sconfitto,
ti amo nella mia poesia
e nella mia umiltà mai redenta,
ma soprattuto ti amo perché sei un poeta
come me e mi comprendi
e come due teneri uccelli
ci avvicendiamo sull’albero
pronti per gli sponsali.
Natale 1982.
Moi je t’aime dans les choses les plus simples et pures,/dans tout ce qui est élémentaire et sacré,/ dans les eaux vierges, dans les sources sublimes,/je t’aime dans la terre mère,/et dans mon ventre vaincu,/je t’aime dans ma poésie/ et dans mon humilité jamais défaite,/mais surtout je t’aime parce que tu es un poète/comme moi et tu me comprends/et comme deux tendres oiseaux/nous nous rapprochons de l’arbre/pour la célébration de notre union.
Réveillon de Noël 1982.
(Confusione di stelle)
Maestro
Ma se tu maestro dici che la mia posia non è etica
sbagli , perché io commetto un errore di sale,
un errore di pronuncia e di zelo
e invece di pronunciare Dio
dico la parola uomo,
allora perdo la misura del mio incombente equilibrio
e mi sento satura come fossi drogata
a da questa confusione di stelle
nasce la parola amore.
Mais si toi, maître, tu dis que ma poésie n’est pas éthique/tu te trompes, parce que moi je fais une erreur de sel,/une erreur de prononciation et de zèle/et au lieu de prononcer Dieu/je dis le mot homme,/alors je perds la mesure de mon équilibre imminent/et je me sens submergée, comme si j’étais droguée,/et de cette confusion d’étoiles/naît le mot amour.
(Confusione di stelle)
¬ Bibliographie en français.
Alda MERINI : Confusion des étoiles, Éditions Seghers, Bilingue. Trad. Alessandra Dominici, Gabriel Dufay. Février 2025.
· Après tout même toi / Dopo tutto anche tu, Oxybia Editions [archive], 2009
· Délire amoureux / Delirio amoroso, Oxybia Editions [archive], 2011
· La Terra Santa, Oxybia Editions [archive], 2013
· Délit de vie, autobiographie et poésie, tim buctu éditions [archive], 2015
· La folle de la porte à côté, suivi de Conversation avec Alda Merini, traduction de Monique Baccelli, préface de Gérard Pfister, éditions Arfuyen, 2020.