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Dossier 51 (Le) [1978 - France, 108 min. C] R. Sc. Michel Deville d'après le roman éponyme de Gilles Perrault. Ph. Claude Lecomte. Mus. Jean Schwarz. Franz Schubert, Sonate Arpeggione. Mont. Raymonde Guillot. Déc. Noëlle Galland. Pr. Philippe Dussart, Eléfilm, SFP, Maran Film. I. François Marthouret (Dominique Auphal, 51), Claude Marcault (Liliane Auphal, 52), Philippe Rouleau (Philippe Lescarre, 52 bis), Nathalie Juvet (Marguerite Marie), Pierre Mailland (Stéphane), Julie Amour-Rossini (Élodie), Christophe Malavoy (l'agent de Marguerite Marie), Françoise Béliard (Sylvie Mouriat), Jenny Clève (l'agent 747, femme de ménage de 51), Roger Planchon (Esculape 1), Jean-Michel Dupuis (l'agent Hécate B446), Jean Dautremay (Esculape 3), Daniel Mesguich (Esculape 4), Patrick Chesnais (Hadès).
~ Silencieusement, des ordinateurs compilent des données et les écrans s'emplissent de signes. Dominique Auphal (F. Marthouret), haut fonctionnaire, marié, deux enfants est nommé à un poste-clef dans une organisation internationale. Sa carrière s'annonce brillante, et les services secrets étrangers ouvrent un dossier sur lui. Il porte le numéro 51...
En adaptant le « roman non-romanesque » de Gilles Perrault, Michel Deville releva un difficile défi. En outre, chez le cinéaste, le choix de transposer à l'écran un roman était alors exceptionnel. Il déclara pour Positif en 1978 : « Un grand livre, je ne veux pas y toucher, risquer de l'abîmer. Il est fini, parfait. Adapter Madame Bovary c'est un crime. On illustrera l'anecdote, on mettra en images le décor, les personnages, mais l'écriture de Flaubert ? C'est d'elle que vient réellement le plaisir. Comment transmettre ce plaisir-là ? » Certes, Perrault n'est pas Flaubert. Mais Deville fut fidèle à l'œuvre, forme et esprit : le livre tire sa force de sa rigueur, faite de fiches et de rapports dressés méthodiquement sur la vie d'un homme observé à son insu. Le réalisateur reconstitue cette froideur clinique grâce à un procédé ingénieux qu'il utilise d'un bout à l'autre du film. Jamais on ne voit les services qui enquêtent sur la vie de Dominique Auphal alias 51. Celle-ci est décortiquée, analysée, avec une minutie d'autant plus oppressante que les observateurs sont anonymes. Ils portent des noms de code de divinités, Minerve, Hadès, Mars, qui renforcent encore le sentiment de leur omniprésence et de leur toute puissance. Mais le plus troublant est que, par cet artifice, le spectateur est manipulé à son tour : il se retrouve en position de voyeur, donc du côté des services secrets, face à un personnage isolé, enferairemé dans l'écran. Le thème du voyeurisme et de la manipulation ne sont pas nouveaux chez Michel Deville. Ils sont présents, souvent avec une tonalité sentimentale, au cours de ses années de collaboration avec la scénariste Nina Companeez (Adorable menteuse, 1962 ; À cause, à cause d'une femme, 1963 ; Benjamin ou les mémoires d'un puceau, 1968) Ici, le thème est décliné sur un mode plus sociétal avec une réflexion sur la liberté individuelle. La caméra subjective impose une narration, un cadrage et un montage originaux qui traduisent la continuité du regard. Cette mise en scène souligne le contraste entre l'inhumanité des techniques de renseignement modernes et les émotions, l'humour, la vulnérabilité des personnes observées réduites à un dossier. Le réalisme est saisissant. Michel Deville a tenu à travailler avec des comédiens de théâtre (inoubliable Roger Planchon) pour que leurs visages soient peu connus du public et leurs personnages d'autant plus convaincants et crédibles. Loin des clichés du film d'espionnage traditionnel, l'aspect documentaire et démythificateur de Dossier 51 est aussi captivant que glaçant. [Source : Festival Lumière 2010]
Dossier Noir (Le) (Fascicolo Nero) [1955 - France, Italie, 115 min. N&B] R. Sc. André Cayatte, assisté de Jean Valère. Sc. Dial. Charles Spaak. Ph. Jean Bourgoin. Déc. Jacques Colombier. Cost. Rose Delamare. Mus. Louiguy. Mont. Paul Cayatte. Pr. Speva Films, Rizzoli Film. I. Jean-Marc Bory (Juge Jacques Arnaud), Antoine Balpêtré (Dutoit), Henri Crémieux (le procureur), Noël Roquevert (commissaire Franconi), Danièle Delorme (Yvonne Dutoit), Paul Frankeur (Boussard), Lea Padovani (Mme Le Guen), Bernard Blier (inspecteur Noblet), Daniel Cauchy (Jo), Sylvie (Mme Bouju), Nelly Borgeaud (Danièle).
~ Années 1950. Dans une petite ville de province, s'installe un juge d'instruction en début de carrière, M. Arnaud (J.-M. Bory). Il découvre assez rapidement un dossier fort embarrassant établi par son prédécesseur. Il met en cause un entrepreneur influent qui aurait accaparé à son seul profit les chantiers de la reconstruction de la cité. Sa complicité avec le maire de la ville, propriétaire du principal organisme bancaire de la région, paraît certaine...
Douze hommes en colère (Twelve Angry Men) [1957 - États-Unis, 97 min. N&B] R. Sidney Lumet Sc. Reginald Rose d'après sa pièce télévisée. Mus. Kenyon Hopkins. Ph. Boris Kaufman. Mont. Carl Lerner. Dir. art. Robert Markel. Pr. Henry Fonda, R. Rose, Orion-Nova Productions. I. Henry Fonda (le huitième juré, M. Davis architecte), Lee J. Cobb (le troisième juré, patron d'une société de livraison), E.G. Marshall (le quatrième juré, courtier), Martin Balsam (le juré n° 1, président du jury, entraîneur de football), John Fiedler (le deuxième juré, banquier), Jack Warden (septième juré, représentant de commerce), Ed Begley (dixième juré, gérant de garages), Robert Webber (douzième juré, publicitaire), Jack Klugman (le cinquième juré, chômeur), Ed Binns (le sixième juré, peintre en bâtiment), Joseph Sweeney (le neuvième juré, retraité), George Voskovec (le onzième juré, horloger). Rudy Bond (le juge), James Kelly (le garde), Bill Nelson (le greffier), John Savoca (l'accusé). Ours d'Or au Festival de Berlin 1957.
~ Un jeune homme (John Savoca), accusé de parricide, risque la peine capitale. Le jury, composé de douze hommes, se retire pour délibérer et procéder au vote. Pour onze d'entre eux, aucun doute, l'accusé est coupable. Cependant, la décision ne peut être prise qu'à l'unanimité. Or, le huitième juré (Henry Fonda) a voté non coupable. Il estime qu'il y a toujours un doute et que la vie d'un homme est en jeu. Il précise sa pensée en montrant qu'il existe des failles dans l'enquête présentée par l'accusation. Il s'emploie dès lors à convaincre ses collègues un par un.
Sidney Lumet (1924-2011), dans la préface à son ouvrage Faire des films [Capricci], déclarait : « Les films résultent d'un processus technique et émotionnel complexe. C'est de l'art. C'est du commerce. C'est un crève-cœur et une joie. C'est une belle façon de vivre sa vie. » La sienne fut riche de plus de soixante-dix réalisations, entre le cinéma et la télévision qui le fit débuter. Humaniste, il n'a eu de cesse de filmer l'Amérique des institutions défaillantes et des personnages intègres et révoltés. Épaulé par les meilleurs scénaristes et dirigeant les acteurs les plus inspirés - de Henry Fonda à Philip Seymour Hoffman, en passant par Marlon Brando, Sean Connery, Al Pacino, Faye Dunaway - Sidney Lumet a laissé une œuvre au cordeau, témoignage d'un monde en lutte.
Né à Philadelphie, Sidney Lumet a néanmoins grandi dans le Lower East Side (arrondissement de Manhattan) à New York. Ce quartier a longtemps été habité par une population ouvrière et défavorisée. Enfin, en certains endroits, le Lower East Side a été et reste encore un centre de la culture juive ashkénaze. On retrouvera dans son œuvre la présence régulière des quartiers populaires de New York, cité cosmopolite - Le Prêteur sur gages, 1964 ; Serpico, 1973 ; Un après-midi de chien, 1975 ; Le Prince de New York, 1981 ; Une étrangère parmi nous, 1992 ; Dans l'ombre de Manhattan, 1997 -, comme chez Woody Allen, Juif comme lui, et qu'il cite par ailleurs. Les parents de Lumet, Baruch et Eugenia (née Wermus) Lumet, sont des vétérans du théâtre yiddish ; ils ont immigré aux États-Unis depuis la Pologne. Son père, acteur, réalisateur, producteur et écrivain, est né à Varsovie. Sa mère, qui était danseuse, est décédée lorsqu'il était enfant. Il fait ses débuts professionnels à la radio à l'âge de quatre ans et ses débuts sur scène au Yiddish Art Theatre à l'âge de cinq ans. Enfant, il apparaît également dans de nombreuses productions de Broadway, y compris dans Dead End en 1935 et The Eternal Road de Kurt Weill. En 1935, à l'âge de 11 ans, il apparaît dans un court métrage de Henry Lynn intitulé Papirossen (signifiant « Cigarettes » en yiddish), coproduit par la star de la radio Herman Yablokoff. Le film est présenté dans une pièce de théâtre du même titre, basée sur la chanson Papirosn. La pièce et le court métrage sont présentés au McKinley Square Theatre du Bronx. En 1939, à l'âge de 15 ans, il fait sa seule apparition dans un long métrage dans Dans une pauvre petite rue de Dudley Murphy. Sa conscience politique s'aiguise dès ses jeunes années pendant lesquelles il côtoie ceux qui ont tout perdu durant la Grande Dépression. À la fin des années 1950, un certain nombre de jeunes réalisateurs, comme Robert Mulligan ou John Frankenheimer débutent à la télévision par des séries ou des pièces, avant de passer au cinéma, où ils apporteront un style et une méthode de réalisation inédits. Après avoir également fait ses armes au petit écran, auquel il reviendra régulièrement - ce que ses détracteurs lui reprocheront toujours -, Lumet réalise sa première fiction au cinéma en 1957, Twelve Angry Men, à l'origine une pièce de théâtre télévisée écrite par Reginald Rose.
Dans ce huis clos aux allures de partie d'échecs - la règle des trois unités : temps, lieu et action, étant parfaitement respectée -, Lumet se distingue déjà par ses qualités de directeur d'acteurs. Coproducteur du film, Henry Fonda joue « l'honnête homme américain ». Dans la veine des personnages de John Ford, il est proche de son incarnation coutumière : il est le juste, seul contre tous. N'usant ni de sentimentalisme, ni de morale, il symbolise les vertus civiques et démocratiques. Quant à la galerie de jurés, à l'origine sociale et au caractère bien distincts, elle permet à Lumet de dresser un portrait de la société américaine des années 50, tout en dénonçant ses travers. Si le film ne remet pas en cause frontalement la peine de mort, il s'interroge sur les rapports humains, comme la force de la manipulation ou le déterminisme social. Lumet place le spectateur à l'intérieur de la pièce, l'y enferme et la caméra très mobile se comporte comme un treizième personnage. « En outre, nous avons filmé le premier tiers du film en positionnant la caméra au-dessus de la hauteur des yeux, puis, en abaissant progressivement la caméra, le second tiers avec la caméra à hauteur d'yeux, et enfin le troisième tiers un peu en dessous du niveau des yeux. De telle sorte qu'à la fin du film, le plafond apparaît dans le champ. Non seulement les murs paraissaient se rapprocher, mais le plafond également. Cet accroissement de la claustrophobie est pour beaucoup dans le regain de tension à la fin du film. Dans le dernier plan, un extérieur où l'on voit les jurés quitter le tribunal, j'ai utilisé un objectif grand angle. [...] L'intention était de donner de l'air, de laisser le spectateur respirer, après deux heures de confinement toujours plus aigu. » [S. Lumet, Faire un film, Capricci] [Catalogue Festival Lumière 2022]