Adriana Asti, comédienne ironique

Découvrez la carrière unique d'Adriana Asti, une comédienne italienne dont l'intelligence et l'ironie ont marqué le cinéma. Explorez son parcours artistique et son impact sur le paysage cinématographique italien.

 

  René de Ceccatty est un des plus fins connaisseurs de l'œuvre multiforme de Pier Paolo Pasolini. Il en est devenu très tôt un de ses plus fidèles amis et admirateurs. C'est aussi un brillant éxègète de la culture et de la littérature italiennes. Il vient d'écrire un texte d'hommage à l'actrice Adriana ASTI, récemment décédée.

 

Adriana ASTI s'est éteinte dans son sommeil, jeudi 31 juillet, à Rome. La capitale lui faisait regretter Milan : à sa ville natale, elle avait consacré un spectacle musical, Stramilano, qu'elle avait montré sur toutes les scènes italiennes, et même à Paris. Giorgio Strehler, Luca Ronconi et Luchino Visconti avaient tous su, dans cette cité lombarde, exploiter le talent explosif de cette comédienne ironique qui vouait à l'intelligence un véritable culte. Née en 1931 dans une famille d'industriels, élevée dans une pension de bonnes sœurs allemandes, elle s'était débarrassée de la pesanteur d'un tel pedigree pour suivre une troupe de théâtre de passage et ne plus jamais se détacher de cet art, sinon pour le cinéma, même si sa beauté ne correspondait pas au canon des vedettes du grand écran. Mais elle avait quelque chose de plus, que perçurent Pier Paolo Pasolini, Luchino Visconti (qui, après l'avoir découverte sur scène, lui donna des beaux rôles, dans Rocco e suoi fratelli paru en 1960, et surtout Ludwig (1972) ou Mauro Bolognini (Per le antiche scale, L'eredità Ferramonti, Gran Bollito. 1975 à 1977).

Mais c'est surtout Bernardo Bertolucci qui, dans Prima della rivoluzione (1964), mêla leurs liens sentimentaux et une fiction inspirée de La Chartreuse de Parme. Une des scènes les plus frappantes du film est un coup de téléphone réel que l'actrice donne à son propre psychanalyste (le célèbre Cesare Musatti).

On ne fut donc pas étonné qu'elle ait fini par représenter sa vie dans un spectacle inspiré de son livre d'entretiens Se souvenir et oublier (Portaparole, 2011) et ironiquement intitulé Mémoires d'Adriana (2017). Parmi les nombreuses versions de son autobiographie, l'une, commencée à près de 90 ans, porte pour titre Un futuro infinito. Piccola autobiografia (Mondadori, 2017, non traduit).

Fascinée par ses amis écrivains, parmi lesquels trônait Elsa Morante, à laquelle la liait un goût du sarcasme, elle les avait convaincus d'écrire pour elle. Notamment Natalia Ginzburg, dont elle avait interprété en français la pièce Teresa. Mais une amitié encore plus intense l'unissait à l'actrice Franca Valeri, dont elle joua une comédie irrésistible, et à son psychanalyste, qui se mit en tête à son tour de lui écrire une pièce sur mesure. Pour sa dernière mise en scène théâtrale, en 1973, Luchino Visconti eut l'idée de la dénuder entièrement, dans C'était hier de Harold Pinter, qui outré fit interdire les représentations... Mais Adriana y savoura le plaisir de la nudité. Elle réitéra son strip-tease dans les films Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel et Caligula de Tinto Brass, péplum déjanté qui la ravissait. Pasolini fut le témoin de son premier mariage, avec le peintre Fabio Mauri, dont il était proche. Union à laquelle Adriana mit rapidement un terme en inondant l'appartement conjugal. Pasolini engagea l'actrice pour son premier film, Accatone (1961), où il lui donna le rôle bouleversant de la prostituée Amore. Il refit appel à elle pour le court-métrage poétique Che cosa sono le nuvole ? (1968) où elle est, comme ses partenaires, une marionnette jouant Othello.

Bien que la fantaisie surréaliste ait toujours fait partie de son monde artistique (en particulier avec Copi, qui joua avec elle Les Bonnes de Jean Genet dans une mise en scène de Mario Missiroli, en 1980), elle était capable d'incarner des personnages dramatiques, comme le grand public devait le découvrir dans La meglio gioventù (2003) de Marco Tullio Giordana, ou dans le Pasolini d'Abel Ferrara en 2014. Elle interprète dans ce dernier Susanna Colussi, la mère de l'auteur des Ragazzi di vita. Au théâtre, elle n'avait accepté de jouer La Voix humaine (de Jean Cocteau, sous la direction de Benoît Jacquot) qu'à condition de lui adjoindre Le Bel Indifférent version moins pathétique d'une femme abandonnée... Le pathos n'était pas ce qu'elle préférait, au théâtre, au cinéma et dans la vie tout court.

Elle aimait peindre (elle avait décoré de fresques étonnantes sa maison de campagne en Ombrie, en Italie centrale) et chanter. C'est avec Giorgio Ferrara, l'assistant de Visconti et de Ronconi - ce dernier l'emmena à New York dans son Orlando furioso et la dirigea un demi-siècle plus tard dans La Danse de mort d'August Strindberg -, qu'elle trouva une stabilité sentimentale pour laquelle, à tort, elle ne se croyait pas faite. Elle accompagna à Paris son mari, qui y dirigea à partir de 2003 l'Institut culturel italien, ce qui lui permit de jouer dans plusieurs pièces écrites spécialement pour elle, et surtout au Festival des deux mondes de Spolète (Italie), où Bob Wilson - décédé le même jour qu'elle - la dirigea, en 2010, dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett au théâtre de l'Athénée à Paris. Beckett et sa métaphysique amère lui convenaient aussi bien que Hermann Broch, dont elle incarna la servante Zerline dans un happening de la chorégraphe Lucinda Childs ou que Luigi Pirandello que Susan Sontag mit en scène.

Quoique ayant longtemps vécu à Paris, ce qui lui permit de tourner plusieurs films français (avec Claire Devers, Mathieu Amalric, Benoît Jacquot ou André Téchiné par exemple), elle avait une certaine nostalgie de New York, où les artistes transgenres de la Factory d'Andy Warhol l'avaient accueillie comme une jumelle. Toute bien pensance l'assommait. Le théâtre, plus encore que le cinéma, était pour elle la vraie vie, dont elle rappelait l'absurdité, dans un mélange de désabusement et d'enthousiasme de petite fille insolente. Elle avait tenu, dans l'hebdomadaire romain L'Espresso, une rubrique comique dont un poulet était le héros, son double le plus authentique.

 

René de Ceccatty

[Le Monde, 6 août 2025]

 

 

Adelaide Este, dite Adriana Asti, est une actrice italienne née le 30 avril 1931 à Milan (royaume d'Italie) et morte le 31 juillet 2025 à Rome (Italie).

Le culte à l'intelligence

Adriana Asti se distingue par son culte à l'intelligence, une qualité qui transparaît dans chacune de ses interprétations. Son approche intellectuelle du jeu d'acteur lui permet de donner une profondeur et une subtilité rares à ses personnages.

Sa relation avec Susan Sontag

Moments d'ironie

Découvrez Adriana Asti

Si vous ne connaissez pas encore Adriana Asti, laissez-vous séduire par son talent unique et sa contribution au cinéma italien. Explorez sa filmographie et plongez dans l'univers d'une comédienne hors du commun.